Dominique Holvoet : Lʼimpact de la langue sur le corps

Anne Béraud : Bienvenue à tous pour notre conférence du Pont Freudien, et tout d'abord, bienvenue à Dominique Holvoet, que je suis très heureuse d'accueillir, et qu'au nom du Pont Freudien, je remercie vivement d'être là, pour notre trente-sixième rencontre.

Dominique Holvoet est psychanalyste à Tournai en Belgique. Il est directeur thérapeutique au Courtil jeunes adultes, une institution orientée par la psychanalyse qui reçoit 230 enfants et jeunes psychotiques, et dans laquelle de nombreux stagiaires de tous les pays vont se former chaque année. Dominique Holvoet est enseignant à la Section clinique de Bruxelles et au Collège clinique de Lille. Il est membre de l'École de la Cause Freudienne (ECF) et de l'Association Mondiale de Psychanalyse (AMP). Et surtout actuellement, Dominique Holvoet est le Président de la New Lacanian School (NLS), en pleine préparation du prochain congrès de notre École, à Athènes, dans trois semaines.

Ce soir, notre conférence porte sur « L'impact de la langue sur le corps ». Nous avons tous l'expérience de la façon dont une parole peut nous faire frissonner, frémir, nous atteindre dans notre corps, produire la sensation d'un coup de poing dans le ventre ou d'une caresse. L’effet de l'insulte ou la douceur du mot d'amour sur le corps, dans le corps. Mais la langue, au-delà du sens des mots, comment percute-t-elle le corps ? Comment la langue nous constitue-t-elle ? Comment la langue creuse-t-elle son sillon sur le corps, comme un labour dans la terre, comment y laisse-t- elle des traces ? Comment la langue maternelle, comme équivalent aux soins dispensés par la mère, mêle les zones érogènes du corps au langage ? Comment cette langue, à différencier du langage public, porte-t-elle la singularité du langage familial et privé ? Comment un enfant qui entend des paroles qui peuvent rester hors sens pour lui, les « corporéifie-t-il » ? Le psychanalyste Jacques Lacan disait que l'enfant se nourrit de paroles autant que de pain (Séminaire IV, p.8111).

Poser ces questions, c'est déjà supposer que la langue produit un effet sur notre corps, le construit, le traverse ; c'est attirer notre attention sur les premières traces que le signifiant laisse sur le corps – rencontre entre le langage et la jouissance. Ainsi, que se passe-il lorsque les deux, langue et corps, se rencontrent ? C'est un sujet difficile dont Dominique Holvoet va nous entretenir. Il va introduire les concepts progressivement. Cela vaut le coup de vous accrocher dans ce voyage qui nous amènera à faire un trajet de la linguistique structurale à la poésie, afin de saisir la façon dont la langue a une incidence sur le vivant, donc sur le corps.
Les propos de l'écrivain Christian Bobin2, pour qui « la poésie est aussi dure à fixer dans les yeux que le soleil », résonnent fortement avec notre sujet : « Si nous sommes fait de langage, alors la pointe brûlante de ce langage c'est ce qu'on appelle la poésie. La poésie est la trace de feu du vivant ».

Je vous rappelle que nous aurons, suite à la conférence, une période de discussion où vous êtes invités à poser vos questions. Nous poursuivons le travail ici même samedi toute la journée, dès 9h30, et dimanche matin, au cours de séminaires qui porteront sur la psychose ordinaire, avec l'étude du célèbre cas de Freud, L'Homme aux loups. Je vous signale, avant de céder la parole à Dominique Holvoet, que notre prochaine rencontre aura lieu les 25, 26 et 27 octobre 2013, et le psychanalyste français, François Leguil, sera notre invité.

 

Dominique Holvoet : Avant de commencer, je voudrais remercier Anne Béraud de son invitation ainsi que le Pont Freudien et vous dire combien je me réjouis de voir une telle audience pour la psychanalyse, pour l’enseignement de Lacan à Montréal. C’est vraiment un plaisir d’avoir préparé ce travail et de voir que vous êtes là, fidèles aux rendez-vous que le Pont Freudien vous fixe régulièrement. Il est particulièrement difficile de parler de l’impact de la langue sur le corps. L’impact de la langue sur le corps, c’est toute la psychanalyse. Toute la psychanalyse me semble prise dans ce titre. On est vraiment au cœur de la chose. Dans une conférence qu’il a donnée à Genève en 1975 (publiée en 19853), le docteur Lacan s’étonnait qu’on ait pu méconnaître à ce point jusqu’à Freud que les gens « vivaient dans la parlote ». Après Freud, c’est toujours aussi peu évident. La parlote fait le parlêtre.

Il y a quelques jours, une analysante me rapporte quelque chose qui est dans le fil de ce dont il s’agit. Mon analysante téléphone à une amie qu’elle n’avait pas eu au téléphone depuis longtemps et l’amie lui rétorque : « Ah bon, c’est toi ! Je croyais que tu étais morte ! ». Certes, c’est une blague qu’on peut faire, c’est des choses qu’on se dit et on comprend bien la dimension métaphorique qui fait que ce n’est pas à prendre pour elle. Eh bien, pas du tout. Elle était démontée, défaite. Elle m’a rapporté cette parole de l’amie comme quelque chose d’absolument scandaleux que cette amie lui dise quelque chose comme ça. En France et en Belgique – je ne sais pas au Québec – les jeunes ont des expressions où ils disent par exemple : « Oh, ça tue ! » et elle me rapportait que des expressions comme celles-là montrent combien les mots peuvent être profondément blessants. Et ce n’est pas uniquement par leur portée de signification ; ce ne sont pas nécessairement des termes injurieux. Dans cet exemple, l’amie voulait plutôt faire valoir combien l’autre lui avait manqué. De la façon dont elle le dit, c’est néanmoins un mot qui blesse.

Donc, c’est de ça dont il va s’agir ce soir. Partons de cette chose toute simple, si simple qu’on l’oublie, qu’on oublie que lorsque l’on pense et bien on pense toujours avec des mots. C’est toujours à l’aide de mots que l’Homme pense. Je cite Lacan : « Et c’est dans la rencontre de ces mots avec son corps que quelque chose se dessine » (Conférence de Genève3). C’est pour cette raison que Lacan a forgé le terme de parlêtre, pour nommer l’inconscient. Il disait de l’inconscient que c’était un drôle de mot et que Freud avait mal nommé ce dont il s’agissait en parlant de l’inconscient. Une des façons dont Lacan tente de traduire l’inconscient, c’est en produisant ce néologisme de parlêtre, qui met plus en valeur la dimension de la parole d’un côté et du corps de l’autre. Le parlêtre, ça désigne la façon qu’a un sujet d’être imprégné par le langage, autrement dit, la façon dont il a été désiré. Cette imprégnation, c’est la façon dont lui a été instillé un mode de parler qui porte la marque des désirs qui ont présidé à sa naissance. Pour rendre compte de ce que c’était le sujet, on a beaucoup insisté, dans le premier enseignement de Lacan, sur cette dimension du discours qui entoure la naissance de tout enfant. On faisait valoir que le sujet, il était là d’avant que l’être de vivant ne vienne au monde. Il était là par le discours que ses parents portaient sur l’être qui était à venir. Dans un deuxième temps de son enseignement, il y a plus que cela dans ce que Lacan apporte et que l’on essaie d’aborder aujourd’hui petit à petit. Ce soir, je vais donc devoir faire valoir la première dimension de l’enseignement de Lacan, celle de la psychanalyse venant de Freud à partir de l’inconscient, à partir de toutes les significations qui édifient ce que Lacan va faire du sujet et puis je vais devoir le mettre en rapport avec un autre type d’impact qui, quant à lui, n’est pas un impact langagier du côté de la signification.

Il y a donc, au-delà du discours qui est tenu à propos de l’enfant qui est à naître, quelque chose d’une imprégnation du désir dans le langage. C’est-à-dire que, par la résonnance que tous les mots peuvent avoir du côté des parents, le choix des signifiants qui entourent tous ces désirs qui emportent la venue de l’enfant, tous ces mots, tous ces signifiants sont imprégnés du désir. Lacan a forgé un néologisme pour marquer cette imprégnation du désir dans le langage, c’est ce qu’il appelle lalangue, qu’il écrit en un mot. Cette lalangue, c’est un mot que Lacan a voulu proche de lallation ; la lallation désigne le balbutiement des nourrissons. Par homophonie, la lallation peut faire entendre la dimension de la lactation qui se rapproche de l’objet oral, de l’objet pulsionnel, du nourrissage de l’enfant et de tout ce que le lien de plaisir trouvé par l’enfant dans les premiers moments de sa vie constitue comme matrice de son existence. Donc, lalangue désigne cette imprégnation du désir dans le langage. C’est la dimension du langage mais pris dans la jouissance de la parole. Le babil du petit enfant participe de tout un plaisir de la langue. Il joue avec les mots, des mots qui n’ont d’ailleurs aucune signification. Il joue avec, les répète. Il joue plutôt avec les phonèmes. La dimension de lalangue, c’est cette imprégnation du langage par le désir. On pourrait aller au-delà avec, ce que Lacan appelle la jouissance et qui est un concept qu’il ne faut pas prendre comme le mot de la langue courante. Il dit bien qu’il y a une jouissance particulière du parler et que c’est ça que désigne ce mot de lalangue en tant qu’impact sur le corps. On peut désormais corriger le titre de la conférence, l’impact de lalangue sur le corps.

Le corps organe

Voilà pour le côté lalangue, qu’en est-il alors du corps ? Je commencerai par cette prémisse qu’on trouve très tôt chez Lacan, selon laquelle l’organisme déborde des limites de ce qu’on appelle le corps. De la même façon qu’il faut s’imprégner de l’idée que le langage, ce n’est pas uniquement de la signification et des signifiants stables, le corps est à saisir comme allant au-delà de l’enveloppe, du sac que représente ce qu’on appelle en général le corps. L’enveloppe des organes va au-delà. C’est quelque chose de tout à fait essentiel, de majeur dans tout l’enseignement de Lacan. C’est sa façon propre de conceptualiser toute la dimension de la pulsion freudienne. Pour Lacan, le corps, ça va au-delà des limites de l’enveloppe corporelle. Il y a cette dimension du corps, qu’il appelle dans ses premiers écrits, le « corps orthopédique ». C’est un joli terme pour désigner le moment où l’enfant s’appréhende avec un corps qui tient debout. Mais il s’appréhende avec un corps qui tient ensemble dans un moment où justement il est encore dans une totale incoordination motrice. Le fameux stade du miroir, ce n’est pas Lacan qui l’a repéré. Il a repéré dans le travail du psychologue français, Henri Wallon4, ce moment de jubilation où l’enfant se saisit comme être complet dans le miroir. Le moment où l’adulte le désigne de : « voilà, là, c’est toi », ou le désigne de son prénom. Lacan fait tout un développement à la fois autour de ce moment de jubilation devant l’image et sur l’importance de la nomination. Ça, ça constitue un corps qu’il qualifie d’orthopédique et que j’ai appelé le corps sac, le corps dans son enveloppe, le corps dans sa totalité, le corps qui se referme sur lui-même.

De son côté, la notion de corps organe désigne ce qui va au-delà de ces limites-là. Ce n’est pas un corps fermé sur lui-même, c’est plutôt un corps ouvert sur le monde. Ouvert sur le monde, ça veut dire que ça concerne d’abord les trous du corps. Ce corps qui va au-delà n’est donc pas le corps unifié dans le miroir qui donne une sorte de première figure de promesse idéale, en opposition au corps désarticulé que l’enfant éprouve dans les premiers mois de la vie, mais, c’est le corps au-delà du corps enveloppe, au-delà du corps orthopédique, au-delà de l’image idéale dans le miroir. C’est le corps du côté de l’organisme qui va plus loin que les limites du corps et qui concerne le champ des pulsions. On peut dire que c’est ce par quoi un sujet se relie au monde.

Dans ce rapport au monde par le corps, il y a l’objet oral, dans le cas du nourrissage, où le sein maternel ne fait pas partie du corps de la mère mais fait partie du monde de l’enfant. Or, c’est une partie que l’enfant doit perdre. Il y a aussi l’objet déchet, le bâton fécal que l’enfant doit également perdre. Lacan a ajouté d’autres objets pulsionnels beaucoup plus étonnants, qui permettent vraiment de lire le champ clinique du XXe siècle. Ce sont l’objet voix et l’objet regard. Enfin, on peut encore rajouter l’objet rien. Ces objets ont en commun d’être ce que Lacan appelle les objets hors corps : ils sont là en tant que reliés au corps et intégrés dans le champ que Freud appelait pulsionnel. Ces objets sont intégrés à l’organisme en tant qu’organes complémentaires. Ils viennent à la place de ce que Lacan appelle l’objet petit a, mais aussi, en référence à Marx, l’objet plus-de-jouir. De nos jours, on en a tous une panoplie dont on n’arrive plus à se séparer. En effet, il y a des gens qui ne peuvent pas vivre sans internet. C’est dire combien les objets plus-de-jouir sont devenus des organes complémentaires.

Donc, Lacan va jusqu’à parler de la libido freudienne comme d’un organe : « La libido est cette lamelle que glisse l'être de l'organisme à sa véritable limite, qui va plus loin que celle du corps » (« Position de l’inconscient », in Écrits, p. 8485). Ainsi, pour l’être parlant, la représentation qu’il se fait de son corps et au-delà de tout ce qui pour lui se représente – de son monde de la représentation, de son monde contemplatif – tout cela n’est que le reflet de son organisme impliquant le corps et ses objets. Tous, nous voyons le monde de façon anthropomorphique, à partir de la référence au corps. De la même façon que, dans la première partie de son enseignement, Lacan se demande comment ne s’est-on pas aperçu plus tôt jusqu’à Freud qu’on vivait dans la parlote, dans la deuxième partie de son enseignement, il se demandera comment ne s’est-on pas rendu compte plus tôt qu’on vivait avec un corps. Le monde de la représentation se structure de façon. C’est ce qu’Anne Béraud, dans son introduction, appelait corporifier le monde, qui consiste à réduire ce monde à l’image de son corps. Cette façon d’appréhender le monde est d’ailleurs la seule façon. On ne peut se passer du corps pour appréhender le monde. Au passage, avoir un rapport au monde et un rapport à la jouissance sans le corps, c’est précisément ce que tente l’anorexique et ce que tentent les mystiques. Ce que Lacan fait valoir, c’est qu’appréhender le monde avec son corps constitue un engluement imaginaire pour la pensée (« Conférence à Genève sur le symptôme »). Ainsi, pour Lacan, la plupart de ce que l’on pense s’enracine dans cette captation imaginaire, il l’appelle imaginaire parce qu’il s’agit de comment on contemple le monde. En cela, cet engluement, c’est ce qui fonde, dit-il, la débilité mentale, la bêtise fondamentale du parlêtre. Cette bêtise tient, à ce que Jacques-Alain Miller6 va prendre comme titre d’un de ses séminaires : la fuite du sens, séminaire autour duquel mon travail sur l’impact de la langue sur le corps va tourner principalement. Lacan est mort en 1981. Trente ans plus tard, on voit combien ça reste d’une grande solidité. Cependant, sur cette question de la fuite du sens et de la débilité mentale, Lacan s’inclut absolument et parle de ses Écrits comme participant de cette débilité mentale.

La langue prise dans le corps

Après avoir fait un détour par le corps, revenons à la dimension de la langue, à cette langue prise dans le corps qui devient matière langagière. Elle est faite de mots qui se disent et qui s’écrivent. Dans ce qui se dit, il y a ce qui s’entend de ce qui se dit et dans ce qui s’écrit, il y a ce qui se lit de ce qui s’écrit. Or, il y a toujours un écart entre ce que vous entendez de mon dire ou ce que vous pouvez lire d’un écrit, même quand c’est un écrit de Lacan. C’est cet écart qui justifie la dimension de l’interprétation.

Il y a toujours de l’interprétation puisque cet écart fonde l’équivocité du langage comme une propriété fondamentale de la langue. Si les mots ont cette particularité de venir frapper le corps, de le percuter comme le laisse entendre mon titre, c’est du fait de leur équivocité. Avec l’équivoque, nous ne sommes pas encore dans le sens, en tout cas pas dans le sens établi, mais on est plutôt dans la fuite du sens. « Qu’est-ce que ça veut dire ? », « Pourquoi me dit-elle ‘’ je te croyais morte’’ ? ». Le mot vient comme équivoque. « Qu’est-ce qu’elle est en train de me dire ? ». Il y a d’ailleurs toute une série de positions subjectives particulièrement sensibles à cette dimension de la langue. Certains entendent beaucoup plus les résonnances de l’équivocité de la langue que d’autres qui piquent dans le sens du côté « oui, oui, on se comprend ». Quand on rentre dans le champ de la psychanalyse et surtout quand on se prête à cette expérience inédite, formidable qu’est une analyse, on commence à découvrir que quand on parle, il y a une autre dimension qui émerge et qui est précisément celle-là, la dimension de l’équivocité. Dans ce qui se dit, il y a différentes interprétations possibles jusqu’à ce que Miller appelle la fuite du sens. Il y a la dimension de l’énigme à résoudre, de l’appel au sens et il y a donc ce qu’on pourra appeler une sorte de suspension du sens. Quand on se demande « Qu’est-ce que ça veut dire ? », « qu’est- ce qu’elle a voulu dire ? ». C’est cette suspension du sens qui crée cet impact de la langue sur le corps.

Il y a des mots qui sont imprégné d’une façon tout à fait particulière à chacun. Votre lalangue, votre babil, ce sont des mots qui ont fait empreinte. Ils font stigmate avant même qu’ils n’atteignent leurs significations. Ainsi, l’écart entre ce qui se dit et ce qui s’entend relève en particulier de l’homophonie. Si on prend quelque chose de tout simple : les signes de la négation, qu’en français on redouble d’ailleurs. En français, on dit « ne » et « pas » pour marquer la négation. Ainsi, je dis « ne » ; que savez-vous qu’il s’agisse du « ne » ou du « nœud ». Si je dis « pas », on peut essayer de trouver une autre orthographe mais enfin je n’en connais qu’une.

Néanmoins, quand je dis « pas », vous ne savez pas s’il s’agit du « ne pas » ou du « pas » à franchir. On peut évidemment facilement jouer comme ça des homophonies dans la langue. Cet écart justifie et appelle la dimension de l’interprétation. Or, cet art de l’interprétation qui est au cœur de la pratique analytique se justifie de cet écart entre le dit et l’entendu, voire entre l’écrit et le lu. Lacan, au début de son enseignement, s’est appuyé sur la linguistique structurale de Ferdinand de Saussure7, pour fonder son fameux aphorisme : « L’inconscient est structuré comme un langage » (ex : dans « La science et la vérité », in Écrits8). Avec cette formule, Lacan visait à désintriquer les techniques de déchiffrage de l’inconscient et la théorie des pulsions. C’était le premier découpage de Lacan dans la psychanalyse : la langue d’un côté, le corps de l’autre si je puis dire.

La valeur associative du signifiant

La linguistique structurale avec son rapport signifiant-signifié, prend le langage comme une feuille de papier : au-dessus, vous avez le signifiant, en-dessous, le signifié. Entre signifiant et signifié, il n’y a chez De Saussure que l’épaisseur d’une feuille de papier. C’est une linguistique où le signifiant rejoint la chose, si je puis dire. Ce n’est pas du tout la mise en valeur de la dimension de l’équivoque. C’est une mécanique qui fonctionne dès qu’il y a deux signifiants qui, par définition, en linguistique, s’opposent l’un à l’autre. Donc ça permet l’articulation d’un signifiant S1 avec un signifiant S2. La condition de la signification repose sur le fait d’avoir deux signifiants qui s’opposent ; vous pouvez produire du sens si vous avez un signifiant et un autre. Lacan va reprendre donc ce rapport signifiant-signifié chez De Saussure pour y introduire qu’il existe un écart et que c’est précisément cela qui justifie l’interprétation. On appelle formations de l’inconscient les lapsus, les rêves, les mots d’esprit, tous ces achoppements de la langue qui intéressent tant la psychanalyse. Les formations de l’inconscient relèvent de cette analyse de la langue comme un système qui appelle l’interprétation. L’interprétation vient alors boucler le sens. L’étude des formations de l’inconscient dans ce qui se dit, c’est l’idée qu’on a retenue de Freud : dans ce qui se dit, il y a un sens caché. Ça ne sert à rien d’aller voir un analyste pour mieux vous connaître. C’est parce que vous souffrez que vous venez voir l’analyste. On vient voir l’analyste parce qu’on souffre, parce qu’on a un symptôme, parce qu’il y a un « machin » qui dérange. Et si vous allez voir un analyste plutôt que de continuer à aller voir votre médecin pour avoir les pilules adéquates, c’est parce que vous avez quand même l’idée que votre symptôme a un sens particulier. Vous avez l’idée qu’un sens est caché et que vous pourriez le retrouver par l’analyse. Et quand vous en avez déjà entendu quelque chose, vous savez que c’est par l’interprétation que vous pourriez retrouver ce sens caché.

Tout cela se tient à partir de l’idée que nous avons affaire dans la langue à des signifiants, c’est-à- dire à des éléments distincts qui se combinent selon certaines règles pour produire la signification. Dans tout son travail sur les formations de l’inconscient, par exemple son livre sur les mots d’esprit et ses rapports avec l’inconscient9, Freud cherche à découper la langue au-delà du mot. Pour retrouver toutes sortes de composantes signifiantes qui permettent l’interprétation, il découpe la langue en phonèmes, par exemple dans le nom de Signorelli (« Du mécanisme psychique de la tendance à l’oubli », in Résultats, idées, problèmes I10; « Oubli des noms propres », in Psychopathologie de la vie quotidienne11). Freud, qui était, lui, en analyse permanente, c’est-à-dire qu’il faisait comme tout analysant qui a suffisamment avancé dans son analyse, voire qui a terminé son analyse, ce qu’il continue à faire, c’est de continuer à s’analyser et Freud faisait ça presque automatiquement. Dans un voyage, il est en train de parler avec quelqu’un, un avocat, de la situation en Bosnie-Herzégovine et il y a un mot qui ne lui revient pas : Signorelli. Impossible de se souvenir du nom de ce peintre, de tel tableau qui représente telle chose. Mais deux autres noms propres lui reviennent, c’est Botticelli et Boltraffio. Et il fait toute une étude pendant des pages pour montrer combien il ne pouvait pas retrouver tous les phonèmes de Signorelli parce que dans Signorelli, il y a Signor. Signor fait appel à Herr, c’est-à- dire, le seigneur. L’ensemble avait un rapport précis, pour le dire très vite, avec le sexe et surtout avec la mort. C’est très amusant de voir comment il va aller rechercher toutes les résonnances de significations autour de ce qui revient comme bribes, comme débris de l’inconscient. Botticelli, Boltraffio, il voit bien que dans Botticelli, il n’était pas loin de Signorelli mais ce n’est pas signor qui vient, c’est botti qui vient à sa place. Freud conclue que la substitution du nom de Signorelli s’est effectuée comme à la faveur d’un déplacement, le long de la combinaison des noms Bosnie- Herzégovine, sans aucun égard, dit-il, pour le sens et la délimitation acoustique des syllabes. J’ai souligné ceci : « Les noms semblent avoir été traités dans ce processus comme le sont les mots d’une proposition qu’on veut transformer en rébus ». Freud fait un usage du langage de l’ordre d’un rébus. Il opère un découpage de la langue en phonèmes distincts.

La lettre

Pour l’oral comme pour l’écrit, il y a donc un art linguistique de l’interprétation, dont relève ce livre de Freud Le mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient. Mais ce que je veux mettre en avant, c’est que cet art linguistique de l’interprétation ne vaut qu’à considérer les mots dans leurs valeurs de signifiants. Cela qui veut dire que ce n’est pas dans leurs valeurs d’identités sonores mais dans leurs valeurs d’éléments phonématiques, discernables et opposables qui fondent un système permettant la production d’un savoir articulé et sa communication. Lacan l’a repris de Freud avec, à son avantage, qu’il avait à disposition l’outil de la linguistique structurale pour le faire valoir. Mais il n’a fait que mettre en valeur le travail de Freud, qui était linguiste avant l’heure si je puis dire. Même si on découpe le signifiant en phonèmes distincts, c’est néanmoins pour à nouveau en faire un système d’oppositions phonématiques qui permet de produire de nouvelles significations. Il s’agit toujours du langage pris dans la dimension de la communication. Au niveau de l’écrit, on retrouve, dit Lacan, cette dimension d’isola que constitue le signifiant. C’est comme un élément à part entière dans les caractères d’imprimerie qui présentifie valablement le point qu’il va mettre en valeur progressivement dans son enseignement et qui est la dimension de la lettre. À savoir, dit-il, « la lettre est la structure essentiellement localisée du signifiant » (« L’instance de la lettre », in Écrits, p. 50712). Donc, on a les dimensions du signifiant qui vaut en tant qu’opposé à tous les autres signifiants, mais on a aussi la dimension du signifiant comme Un-tout-seul, dont Alexandre Stevens est venu vous parler ici-même. Le signifiant comme isola implique qu’avant de s’opposer à un autre signifiant pour produire de la signification, on a à considérer le signifiant comme tel, le signifiant dans sa valeur de lettre, c’est-à-dire le signifiant avec la signification en souffrance, en attente de signification. Au fur et à mesure de son enseignement, c’est une distinction de plus en plus subtile que Lacan cherche à faire entre le signifiant, qu’il a mis en valeur dans un premier temps dans le système de la communication, et la dimension de la lettre comme hors sens. La lettre, c’est la mise en valeur de la dimension du signifiant comme un pur signe. Plus son enseignement avance et plus il va tirer la dimension du signifiant du côté du signe en en parlant comme de la lettre.

Ça n’invalide absolument pas le premier Lacan, pas plus que ça n’invalide l’interprétation freudienne du côté de la communication d’un savoir caché sur vos symptômes. Il n’en reste pas moins qu’il y a une dimension sur laquelle Freud, comme vous le savez, a buté et dont il n’est pas parvenu à se sortir. Il n’arrivait pas à boucler complètement la cure et il en déduisait qu’il y avait un roc indépassable – la castration. Vous faites une tranche, vous allez en analyse pendant deux ans et puis vous allez mieux et puis vous refaites une deuxième tranche un peu plus tard. Autrement dit, quelque chose ne se résout pas. Lacan, qui, comme Freud, était un acharné, voulait absolument saisir ce qu’il en était de cette histoire incompréhensible qui fait que ça ne se résout dans la fin de l’analyse, qu’il n’y a pas de fin de l’analyse, qu’elle paraît infinie. Freud l’écrit dans son texte sur l’analyse finie et infinie (« Analyse finie et analyse infinie »13). Ce qui est à retenir de cette partie, c’est la valeur première que Lacan donne à la parole comme chaîne signifiante articulée selon un système d’éléments détachés de la valeur de signification qu’ils n’acquerront que par leurs combinaisons, leurs enchaînements successifs. Cette dimension de la lettre présentifie ce qui détache comme tel le signifié du signifiant. Donc, on n’a plus la feuille de papier avec signifiant-signifié qui se collent l’un à l’autre et où le mot est presque la chose. On a désormais un décollement de la dimension du signifiant et du signifié. Il y a la dimension du signifiant comme tel, du signifiant hors sens. Le signifiant en tant que tel ne signifie rien.

Vignettes

La langue qui peut être prise d’une part par le biais de la signification mais aussi par le biais de la langue elle-même, en tant que désarticulée au niveau de la signification. La langue qui se désarticule de la signification ne forme pas un délire, parce qu’un délire, c’est quelque chose de très articulé. Il s’agit plutôt de la désarticulation pour former quelque chose d’une dislocation de la langue, comme il y a une dislocation du corps dans la schizophrénie. À ce sujet, je pense à un jeune homme que nous recevons au Courtil et dont nous nous occupons depuis de longues années. J’ai reçu un texte de lui qui fait plus d’une dizaine de pages. C’est un texte dactylographié, mais tout à fait particulier. C’est un texte qui respecte une orthographe. Il écrit le mot « djabe », par exemple, de la même manière de la première à la dernière page. Donc, il y a une orthographe sans que ce soit l’orthographe commune, celle que nous avons apprise à l’école. Et d’ailleurs, ce garçon, cet auteur, a le projet d’écrire un livre. Ces dix pages ne contiennent pas un seul signe de ponctuation et ce n’est pas qu’il oublie les points, c’est que c’est une seule phrase. Quand on le lit attentivement, on s’aperçoit d’abord qu’il y a une certaine signification. Chez ce garçon, la langue de ce texte et son corps, ça a la même structure. C’est-à-dire que son corps est structuré de la même façon avec des bribes, avec des bouts comme ça, faits de bric et de broc. C’est quelqu’un par exemple, qui est donc dans un hébergement, enfin, il est dans un internat, mais il veut changer de chambre tous les trois mois. Ce n’est pas à date fixe, mais très régulièrement sa chambre ne lui convient plus. Un jour, j’ai voulu lui faire préciser quel était le phénomène. Est-ce qu’il entendait des bruits un peu bizarres ? Alors il disait que oui, qu’il y avait des bruits dérangeants mais qui étaient moins présents au début. Mais ce qui le préoccupait le plus, c’était son miroir. Et le fait d’ailleurs de lui proposer d’enlever ce miroir ou de recouvrir ce miroir d’une plaque pour enlever, pour cacher l’aspect miroir ne suffisait pas. Il m’expliquait que quand il se regardait dans ce miroir là et bien, la moitié de son corps était cadavérisée, c’est-à- dire que son visage était cadavérisé sur une hémiface.

Dans un cas comme celui-là, le corps lui-même est torturé par la langue. Toutefois, on entend dans cette phrase de dix pages qu’il y a par exemple le thème de la protection par un dieu, que le sujet voudrait ou pourrait bien vouloir devenir Dieu lui-même, de façon à échapper à sa condition de mortel. Il s’agit d’un travail solitaire de transcription d’une pensée qui ne cesse pas. Quand il arrête sa transcription, cette phrase continue. C’est une phrase incessante qui tourne et qui torture beaucoup ce garçon. La pensée qui insiste, ça, c’est ce qui fait sa psychose. C’est ce qui fait qu’il est torturé en permanence par cette phrase continue. Mais, ce que je voulais souligner, le fait de faire l’effort de le transcrire, d’avoir le projet d’écrire un livre, de mettre ça un peu en forme de lettres, ce n’est pas un travail qui vise la communication, mais c’est un travail de mise en forme qui apaise les choses. Même si on peut retrouver un certain sens dans cette phrase continue, ça vise à autre chose. Ces éléments langagiers sont pris précisément dans une lalangue, une lalangue étrangère à tous mais qui est intime à l’auteur. Intime au point que cette parole l’agite beaucoup. La mort, il l’éprouve réellement dans son corps, corps dont ce sujet n’est d’ailleurs pas assuré qu’il soit un corps vivant ou pas.

En 1971, un historien des idées, Jean Starobinski, en faisant une recherche dans les archives de De Saussure, a montré que ce dernier, tout en ayant inventé la linguistique structurale, avait aussi une autre pratique. Il s’intéressait notamment aux poèmes qu’on appelle saturniens, qui sont des poèmes latins. Il s’intéressait à ça pour essayer de repérer dans les poèmes saturniens des anagrammes cachés. Il avait l’idée que dans les poèmes saturniens notamment ainsi que dans d’autres formes poétiques, il y avait des anagrammes cachées, qu’il y avait des noms propres qui étaient cryptés. C’est quasi délirant, mais c’était sa passion. Il avait forgé une théorie et justifierait le fait qu’il n’ait jamais publié ses travaux parce que ce n’était pas abouti. De Saussure, qui a inventé la linguistique structurale, on voit bien qu’il s’intéresse à tout autre chose et qui est la substance phonique des mots.

Dans ce cours de La fuite du sens, Jacques-Alain Miller s’intéresse à un autre personnage qui est un poète français que vous connaissez peut-être qui s’appelle Michel Leiris. Michel Leiris raconte qu’enfant, il laisse tomber sur le sol un de ses jouets, un petit soldat. Et le soldat ne se brise pas en deux et l’enfant s’exclame : « Reusement ! ». Et quelqu’un de son entourage, qui n’est pas sa mère comme on l’indique habituellement, lui fait remarquer : « Non, mon garçon, on ne dit pas reusement, on dit heureusement ». Et elle lui apprend que ce vocable se rattache au vocable heureux, qu’il appartient à une famille sémantique. Elle projette l’enfant dans l’espace du sens. L’enfant demeure interdit. La véritable chute est symbolique. Elle résulte de la prise de conscience du caractère collectif du langage. Le langage, c’est quelque chose qui se partage. Et si tu veux le partager mon garçon, tu ne dis pas reusement, tu dis heureusement. Enfin vous voyez ce qui est à l’œuvre dans le fait de le faire rentrer le langage du côté de la signification dans le corps. Dans le cas du patient dont je parlais tout à l’heure, ça résiste, ça ne rentre pas. Il a sa langue à lui. Et il ne peut pas en avoir une autre. Ce n’est pas une langue qui sert à la communication, ce n’est pas une langue de l’échange. Là, reusement … mais alors, ici, Michel Leiris raconte combien ça l’a traumatisé, en quelque sorte. Miller reprend ça : nous avons tous connu ce type d’événements qu’on peut appeler un événement de corps, mais on l’a oublié. Michel Leiris, est resté attaché à la langue à un tel point qu’il a pu rapporter cette chose-là. Donc, je le cite : « De chose propre à moi, il “le vocable …reusement” devient chose commune et ouverte. Le voilà, en un éclair, chose partagée ou – si l’on veut – socialisée. […] Ce mot mal prononcé […] m’a mis en état d’obscurément sentir […] en quoi le langage articulé, tissu arachnéen de mes rapports avec les autres, me dépasse, poussant de tous côtés ses antennes mystérieuses. » (Michel Leiris, Biffures (La règle du jeu I), p. 1214). C’est un poète, mais ce qui est dit d’une façon superbe, c’est comment le langage articulé, le langage de l’échange, le pousse du côté des rapports avec les autres, quelque chose qui le dépasse, qui, comme un tissu arachnéen pousse de tous les côtés ses antennes mystérieuses. Au fond, ce qu’il dit, c’est qu’il doit abandonner son rapport jouissif à sa langue privée, à son reusement, pour participer à la dimension de l’échange, à la dimension du langage en tant que partagé.

Lacan va s’intéresser toujours plus à ces dimensions de la lettre qu’il trouve sur la dimension du signifiant. La lettre, c’est le signifiant lorsqu’il est séparé de la signification. Et cet accent sur la lecture indique que signifiant et signifié ne sont pas comme l’envers et l’endroit d’une même chose. Mais plus la lettre – c’est-à-dire le signifiant hors signification – appelle à une signifiance ouverte – l’équivoque dont je parlais tout à l’heure – plus le sémantisme – c’est-à-dire la signification fermée, l’appel à une signification stable où le mot rejoindrait la chose –, plus le sémantisme est inaccessible, opaque, énigmatique. Plus on va du côté de la lettre, moins on va du côté de la signification et de la communication d’une signification fermée, stable et accessible. Il y a une sorte d’opacité qui surgit et qui tient à cette dimension propre. Ce dont il s’agit tient à cette dimension propre du résidu symptomatique que Freud ne pouvait pas résoudre. Il considérait qu’il y avait des résidus symptomatiques, quelque chose qui restait et dont Lacan va faire valoir que ça tient à cette dimension propre de la matière langagière, qui dépasse la dimension de la signification. Il y a d’autant plus de signifiance que le signifiant se trouve comme une lettre séparée de la signification. Ce plus de signifiance, c’est l’effet poétique. C’est pour ça que Lacan va s’intéresser à la poésie dans la fin de son enseignement. Il y a tout un cours de Miller sur ce qu’il appelle l’effort de poésie. Mallarmé cherchait à obtenir un « champ sous le texte » qui serait la valeur des mots, comme ce que Leiris appelait des monstres oraux, où s’établissent des liaisons qui sont distinctes du lexique, des effets de brouillage, d’assonances où la phrase la plus banale, la phrase disons mal-entendue peut devenir la sentence la plus obscure. Idem avec l’exemple de la patiente au début à propos de la mort. C’est cette dimension du langage que Lacan va appeler lalangue, en un mot. Il colle l’article au mot pour indiquer ce statut amalgamé de la langue lorsque la lettre se combine de toutes sortes de façons.

Attraper dans la langue ce qui est propre à un sujet

Cet abord de la langue en psychanalyse modifie ce statut de l’interprétation, l’interprétation du côté de délivrer le sens des symptômes. Il ne s’agit plus uniquement de restaurer la valeur de vérité des symptômes. C’était ce qu’on avait retenu de la vulgate psychanalytique, que la psychanalyse permet de restaurer la vérité du symptôme. Néanmoins, cette valeur est conservée, le second enseignement de Lacan n’invalide pas l’apport freudien qu’il a établi avec la linguistique structurale dans son premier enseignement. Dans ce nouveau statut de l’interprétation, il ne s’agit plus de restaurer la valeur de vérité mais d’attraper dans la langue ce qui est propre à un sujet : son rapport jouissif à la langue. L’analyste a à être attentif à la lalangue de son analysant. Il a à être attentif à la façon dont les mots résonnent pour cet analysant particulier. L’analysante dont je parlais tout à l’heure, quand elle me raconte cela en début de séance, ce n’est pas un récit, ça lui sort de partout, elle est démontée, déchaînée. Évidemment, les mots ont un impact et je l’avais d’ailleurs repéré chez cette dame, dès le début de la cure. Elle avait un discours très articulé, cohérent. Mais enfin, il y avait quelque chose... Pendant un certain temps, je ne savais pas très bien à quoi j’avais à faire. Et un jour, je fais une métaphore. Elle venait de me rapporter quelque chose qui l’avait émue et je lui dis : « Ça, ça vous donne la larme à l’œil », plutôt que de lui dire « ça vous rend triste ». Pendant tout le reste de la séance, j’ai vu qu’elle se frottait l’œil. À la fin, elle avait l’œil tout rouge. Mon expression « Vous avez la larme à l’œil » avait impacté le corps. Pour elle, le mot, c’est la chose. Chez Freud, c’est du même ordre que dans l’exemple du « tourneur d’yeux »15. Il y a une dimension de la langue qui est du côté de la langue découpée, où le phonème, le mot, appartient en propre au sujet et n’est pas encore du registre de l’échange, du registre de la communication.

De lalangue, Lacan dit ceci : « Il est généralement énoncé que le langage sert à la communication ». Quand il dit « généralement énoncé », c’est dans un texte de ses débuts, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse16. Il poursuit : « La communication implique la référence. […] Lalangue sert à de tout autre chose qu’à la communication ». Là, vous avez le deuxième enseignement de Lacan. Alors, s’il y a au niveau de lalangue une autre finalité que celle de la communication, quelle serait-elle ? C’est d’une finalité de pure jouissance, de pure satisfaction. J’ajoute satisfaction parce que ce terme de jouissance est un peu difficile à attraper. Le terme de satisfaction, il convient si vous impliquez dans votre compréhension du terme que la satisfaction, ça va « de la chatouille à la grillade », comme dit Lacan. C’est-à-dire que la satisfaction, ça peut faire mal, autrement dit il existe une satisfaction morbide. La jouissance, c’est ce qui enserre dans un seul concept ce que Freud appelait la libido et la pulsion de mort. Considérez ensemble la libido et la pulsion de mort et Lacan en a fait un seul concept qu’il nomme « jouissance ». Or, la finalité du langage en tant que lalangue, c’est une finalité de jouissance. Du même coup, la dimension de la communication est alors ravalée à sa valeur de semblant où parler, c’est construire des fictions. Quand vous parlez, en analyse et ailleurs, vous construisez des fictions. Vous construisez quelque chose qui n’a de consistance que par sa nature propre de chaîne signifiante. Et ça, ça ne permet pas d’attraper le résidu symptomatique qui tracassait tant Freud. Lalangue a une finalité de jouissance ; la communication, dans cette deuxième partie de l’enseignement de Lacan, est alors ravalée à sa valeur de semblant. Le niveau premier de l’interprétation, donc, l’interprétation disons freudienne, l’interprétation du mot d’esprit et ses rapports à l’inconscient, et même l’interprétation telle que Lacan va en parler dans ses premiers textes comme Fonction et champ de la parole du langage en psychanalyse, ce temps de l’interprétation est un temps de l’interprétation du signifiant.

L’analyse au-delà de l’Œdipe

Pourtant, déjà dans ce texte de 1953, Lacan met l’accent sur la résonnance. Il signale que l’interprétation ne doit pas se présenter avec le caractère d’une information, mais plutôt, disait-il, le caractère d’une évocation. Ça, c’est toujours vrai, même quand on est dans l’interprétation de type freudienne. L’analyste, évoque plutôt – Lacan disait un mi-dire – l’interprétation et la fonction du langage, dans la résonnance. Il ne s’agit pas, en effet, d’informer, mais d’évoquer. Mais, ce qu’il dit là, en 1953, reste néanmoins une communication. C’est simplement une communication indirecte, pourquoi s’agit-il d’évoquer plutôt que d’informer ? C’est que l’interprétation qui délivre le sens comme tel, tombe toujours un peu à côté. Cette dimension de maîtrise, d’intimation du sens, ça, c’est un peu gros : « Vous dites que ce n’est pas votre mère et bien précisément votre dénégation indique que c’était votre mère ». Par contre : « Ah oui votre mère ? »… Et puis on coupe la séance là-dessus. Et là, va venir une signification qui est propre au travail de ce que Freud appelle la perlaboration, c’est-à-dire au travail analytique entre les séances. Évoquer reste néanmoins une communication indirecte. Ça vise quand même à produire une signification qui est, en partie, insue et qui s’obtient par la perlaboration. L’évocation implique toujours une référence et cette référence, c’est quoi, c’est le sujet lui-même. Et ce mode classique de l’interprétation, interpréter par mi-dire, a toute sa valeur encore aujourd’hui. Il procède par évocation en faisant résonner les signifiants. C’est en référence au sujet lui-même que ça se fait, c’est-à-dire en référence à l’analysant comme sujet.

Dans La fuite du sens4, Miller fait remarquer quelque chose que j’ai trouvé particulièrement intéressant. Cette forme d’interprétation applique sur le sujet une intimation pour transformer le dit du sujet. Cette intimation ne fait que le soutenir dans le désir de reconnaissance d’un « Tu es cela » qui se situe plutôt du côté de l’idéal. C’est un mode d’interprétation qui identifie, dans le sens que raccorder à un signifiant. Ça lui donne une identité. Je veux dire par là que c’est rassurant. L’analyse est un exercice qui prend du temps, c’est ce qu’on lui reproche d’ailleurs beaucoup. C’est long une analyse. Mais ça l’est parce que ce de quoi ça vous fait approcher, c’est du point de là où votre être se spécifie en dehors de toute identification à un signifiant. En analyse, vous arrivez à dire des choses que vous ne vous formuleriez pas à vous-mêmes si vous ne faisiez pas une analyse, s’il n’y avait pas l’analyste pour garantir quelque chose. Il y a une certaine menace qui plane de ce que vous allez produire, de ce que la résonnance des significations va donner. Tant qu’on est dans le signifiant, tant que je suis ceci ou cela et que c’est de l’ordre des significations, il y a quelque chose d’un champ où on s’y reconnaît. L’analyse au- delà de l’Œdipe, c’est une analyse qui cherche à viser un au-delà de l’identification. Ce que je trouve intéressant dans ce qu’a amené Miller ici, c’est que cet ordre de l’interprétation du côté du mi-dire mais qui est toujours du côté de la production d’une signification et donc, qui identifie, ça reste de l’intimation : l’analyste garde une position de maître, je vais le dire comme ça. Quant au fil de l’interprétation lacanienne, faisant usage du signifiant réduit à la lettre, elle vise, au contraire, à dés-identifier.

C’est un mode de l’interprétation qui produit un être dés-identifié, qui ne peut plus se couvrir par l’étiquette du signifiant. Il y a là une opération de désenchantement de la psychanalyse qui convient très bien à notre époque de désenchantement des idéaux. Une époque qui est celle d’une revendication individualiste toujours plus grande, d’un déclin des idéaux collectivisants toujours plus importants, même si manifestement, ici, au Québec, le collectif semble continuer à avoir une dimension, une prégnance qu’il n’a plus dans d’autres parties des civilisations dans le monde. Le psychanalyste du XXe siècle, s’il veut se tenir, comme disait Lacan, « à l’horizon de son époque », c’est celui qui lui-même est passé par l’opération analytique dés-identifiante qui produit un parlêtre qui est un Un-tout-seul. C’est-à-dire, tout, sauf un maître. Il ne s’agit plus d’user de l’interprétation pour intimer, pour produire la reconnaissance du sujet dans son identité, fut-elle particulière, mais de produire un sujet qui se reconnaît comme frappé par cette lettre du signifiant, frappé par une lalangue qui lui est propre, intime, et qui l’a marqué d’une façon si singulière qu’elle fait de lui un parlêtre à nul autre pareil, identifiable à aucun autre.

[Applaudissements]

 

Période de questions

Anne Béraud : Je vous l’avais annoncé. Le sujet est difficile. Effectivement, on ne peut pas parler de lalangue et du corps sans passer par un certain nombre de dépliages de concepts ; ce qui donne une tonalité un petit peu complexe.

Ruzanna HAKOBYAN : Vous avez parlé de lalangue et après, vous avez parlé de la lettre. La lettre, c’est le signifiant qui sépare de la signification. Et est-ce que lalangue se réduit à la lettre, est-ce que vous pouvez expliquer un peu la différence entre lalangue et la lettre ?

Dominique Holvoet : Je peux simplement répondre comment ça résonne pour moi cette question de la lettre et de lalangue. La question, c’est comment distinguer ce que Lacan appelle lalangue et ce qu’il appelle la lettre. Il me semble que ce qu’il appelle la lettre, c’est l’élément du langage qui a une valeur de couteau du réel. Le couteau du réel, c’est-à-dire, c’est la dimension du signifiant en tant que ça vient découper le réel et en premier lieu, le réel du corps. Je saisis la lettre comme un élément du langage dans sa valeur pure de signe qui vient découper le réel. C’est une autre façon de découper le réel que le signifiant. Lui aussi découpe le réel puisque s’il n’y avait pas le signifiant, il n’y aurait de signification productible à partir du réel auquel nous aurions affaire. Dans ses premiers séminaires (Séminaire IV, leçon 1, chapitre 31), Lacan a dû y revenir à deux fois. Il prend l’exemple de l’usine hydro-électrique où il dit que s’il n’y avait pas le symbolique, il n’y aurait pas l’énergie. Et on lui rétorque qu’il y a l’énergie potentielle du fleuve. Il y revient la leçon suivante en disant qu’il avait expliqué quelque chose que personne n’avait compris. Le monde intellectuel à l’époque de Lacan, c’était quelque chose. Ils ne voyaient pas du tout de quoi il voulait parler. Pour dire ce qu’il en est du signifiant, Lacan dit que si on peut parler de l’énergie, c’est parce qu’il y a le signifiant qui vient découper le réel, parce qu’il y a les calculs. Parler de l’énergie, fut-elle potentielle, c’est parce qu’il y a toutes les petites lettres du symbolique et s’il n’y a pas le symbolique, revient toute la question de ce que c’est la nature. Lacan dit que la nature contient en elle-même le symbolique. C’est le signifiant qui découpe le réel.

La dimension de la lettre, quand je dis que c’est un couteau, je veux dire que ce n’est pas juste des ciseaux. Des ciseaux découperaient le réel et qui conduiraient à dire « Là, il y a ceci ; là, il y a cela », ce qui permettrait d’apercevoir que ce que produit le découpage du réel, finalement, c’est ce qu’on appelle la réalité. La réalité, ça n’est jamais que votre réalité. La réalité, c’est la réalité de votre fantasme, de votre petite histoire à vous, de votre découpage du réel. Ça n’existe pas, la réalité. D’une part, le signifiant produit toute une série de significations qui sont des fictions sur le monde. Avec le déclin que Lacan appelait le déclin des Noms-du-Père, on voit, à travers la chute des grands hommes, des grandes figures, que tout ça relevait de fictions. Est-ce Napoléon ou un autre qui disait que ce qui compte, ce n’est pas ce que vous dites aux armées, mais la façon dont vous leur parlez ? L’intimation dont je parlais tout à l’heure, c’est la force du signifiant. La politique, c’est raconter des petites histoires aux gens pour les faire rêver et on reproche à la classe politique toutes sortes de choses tout le temps. Mais il faut bien comprendre que la politique, c’est vendre du rêve. On le sait : ce sont des fictions.

L’identification au symptôme

Alors la lettre, c’est la valeur du signifiant en tant que complètement distinct, détaché de la signification. Comment distinguer lettre et langue ? Lalangue, c’est la mise en lettres. Les lettres s’entrechoquent, elles prennent une certaine valeur, qui n’est pas une valeur de signification mais de jouissance. Lalangue, c’est la mise en valeur de la lettre en tant qu’elle est jouissive pour le corps de l’être parlant. Si on reprend l’idée des restes symptomatiques sur quoi Freud butait, mais cette fois éclairée par la dimension de lalangue, on aperçoit que dans le symptôme, il y a quelque chose qui participe de votre lalangue, de votre rapport au langage. Cependant, cette participation qui se fait sous le mode que je viens de développer aujourd’hui n’est pas communicable. Quand vous approchez de ça, vous ne pouvez que dire, « je suis ça ». Mais le « je suis ça », ça n’est plus une identification. Lacan a tenté la formule de l’identification au symptôme, mais ce que produit une analyse – ce que Lacan appelle la passe, c’est le témoignage vivant de quelqu’un qui, après une longue analyse, vient expliquer le savoir qu’il a retiré de son analyse. Les gens arrivent à attraper quelque chose qui relève plus du mode de jouissance, de comment ils sont éprouvés par les choses et comment ça constitue un symptôme en soi. Un symptôme, c’est un mode de vie, une façon d’être dont ils sont venus se plaindre amèrement, vingt ou trente ans avant. De ce symptôme, ils font ressort, enthousiasme, levier du désir pour la suite de leur vie. C’est ce qui fait que la psychanalyse transforme votre vie. Vous êtes amenés à faire des choses que jamais vous n’auriez imaginé faire. Le fait d’être libéré de ce poids, d’avoir laissé ça de côté, ça donne quand même une force.

L’avenir de la pratique de l’analyste

Geneviève HOUDE : J’ai une question sur l’interprétation qui use du signifiant en le réduisant à sa fonction de lettre. Comment peut-il y avoir une communauté au niveau de la lettre ? C’est quand même un découpage assez singulier, la lettre. Alors, comment faire en sorte que cette interprétation-là touche l’analysant ?

Dominique Holvoet : Comment, faire communauté, c’est ça que vous dites, à partir de cette dimension de la lettre ? C’est vraiment une très bonne question, une vraie question ! Que devient l’art de l’interprétation, que devient la pratique de l’analyste dès lors qu’elle n’est plus faite uniquement d’interprétation signifiante ? J’indiquerais deux préalables à ma réponse. Premièrement, la psychanalyse ne survivra que si on arrive à attraper ça. Deuxièmement, pour l’attraper, il faut que l’analyse continue à avancer. Je dis que la psychanalyse continue à avancer, mais comment avance-t-elle ? Elle n’avance pas par l’invention de nouveaux concepts. Bien sûr, il faut des gens qui arrivent à conceptualiser tout ça, et Miller a apporté énormément après Freud et Lacan. Néanmoins, la psychanalyse avance par les analyses auxquelles des gens se prêtent. C’est parce qu’il y a des gens qui « y croient » – mais je mettrai la croyance entre guillemets parce qu’elle pose problème justement dans cette autre dimension qui déstabilise les significations en les logeant du côté du semblant, du côté de la fiction et qui donc fait vaciller les semblants.

Maintenant, au niveau de la pratique, ça donne une pratique de l’interprétation beaucoup plus vivante. Ce que vous faites résonner comme analyste, c’est ce que votre propre analyse a permis de dégager – les frayages de tout ce par quoi vous êtes encombré – et qui fait que vous pouvez faire résonner quelque chose de votre être qui va toucher l’être de l’analysant au-delà de toutes les significations que vous pouvez trouver. Vous pouvez bien interpréter, donner toutes les significations qui ont leur pertinence. Quelle pertinence ? Quand l’analysant vient pour sa première séance, si vous commencez à danser sur votre chaise ou à faire des choses comme ça, il ne va pas rester et il aura bien raison. D’abord, on écoute, il y a des choses qui se disent. Et il faut habiller le réel. C’est-à-dire que les gens racontent des choses, ce sont des choses qui les font souffrir. Donc, il faut interpréter mais il faut interpréter du côté de la traduction, du côté du signifiant en sachant que vous ne faites qu’habiller le réel. D’abord, on habille un peu le réel et puis après, on le déshabille, si je puis dire. Après, il s’agit de voir si derrière ce qu’on a mis au début, comme couverture, comme cataplasme, c’est une plaie ouverte ou bien s’il y a quelque chose qui puisse se refermer. Quoi qu’il en soit, il y a une cicatrice et la cicatrice, au bout l’analyse, il va falloir que l’analysant la regarde en face et qu’il se dise : « Eh bien voilà, je suis cet estropié-là ». Il faut du temps pour ça.

Frédérie CASTAN : Si Freud a buté sur le roc de la castration, Lacan, amène cette question de l’extraction de la lettre. Alors, qu’est-ce que le sujet fait avec ça ? Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui se dénoue ?

Dominique Holvoet : Il me semble pouvoir dire que l’analyse, dans sa première trajectoire passe nécessairement, comme dit Lacan, par les « rets du signifiant », la toile signifiante. Autrement dit, ça passe par l’interprétation signifiante, nécessairement. D’ailleurs, même l’analyse dont je parle prend ça en compte. Maintenant que l’analyse a un siècle, on sait où ça mène. Ça mène à « l’être pour la mort », selon la formule que Lacan trouve chez Heidegger. Ça mène à une fin de l’analyse, déceptive, autrement dit au désenchantement. Je veux dire, si vous faites les choses sérieusement comme analyste et comme analysant – parce qu’il faut que les deux soient sérieux – à un moment donné, vous tombez sur un os : le roc de la castration freudien. Que vous soyez homme ou femme, dans la sexualité, disons, dans le rapport avec l’autre, que ce soit votre partenaire ou que ce soit même l’autre social – il y a également de la libido qui circule – vous tombez sur le manque en tant que manque radical. On bute là-dessus et ça, c’est ce que produit ce mode d’interprétation qui se départit de la signification. Quelque chose reste et tout le monde est déçu. Freud résout ça par le roc de la castration et le fait qu’il faille revenir de temps en temps parler. Lacan apporte cette valeur de jouissance de la langue qui nous fait nous approcher de plus près de ce qui fait le cœur du parlêtre ; il a un corps. La psychanalyse nous désenglue de la pensée.

Geneviève HOUDE : Pourrais-je avoir un complément sur ce que vous amenez sur ce nouveau mode d’interprétation. Comment cette interprétation-là peut-elle permettre de dépasser une fin d’analyse déceptive ? Donc, il reste que l’être pour la mort…

Dominique Holvoet : C’est la même question mais posée autrement. C’est très juste. Quel mode de l’interprétation permet de surseoir à la fin déceptive de l’analyse, permet d’aller au-delà ? Comment fait-on, pratiquement ? Lacan disait que l’analyste pouvait tout faire. Ça ne veut pas dire qu’il est autorisé à tout faire, mais qu’il peut tenter toutes ces choses où il y a une forme de calcul mais, où il y a une dimension d’acte. Il y a des moyens que Lacan nous a quand même donnés. Il a insisté sur le fait qu’on ne s’intéresse pas uniquement aux constructions langagières mais également à la dimension de l’homophonie, de la grammaire et de la syntaxe. Cela implique, dans la parole analysante, d’être attentif non pas à ce qui se dit, mais à la façon dont ça se dit : être attentif à comment ça résonne, au fait qu’il y ait des signifiants qui reviennent par exemple. Par ailleurs, en insistant sur l’importance de la séance courte, Lacan a indiqué que la séance doit produire un événement, un petit électrochoc : ça coupe toujours trop tôt, ou, à l’occasion, ça ne coupe pas assez tôt, et là, ça devient pénible pour l’analysant de poursuivre au point qu’il faille l’encourager– « Oui, oui… », ce qui veut dire « Dites encore… ». Ce sont tous des moyens pour arriver à toucher quelque chose qui ne participe plus uniquement de la signification mais qui s’approche toujours plus de ce que Lacan appelle « l’événement de corps ». Je vous renvoie aux témoignages de passe qui sont très éclairants. Pour conclure, je dirais qu’il faut pouvoir avoir rapport à l’analysant ou à l’analysante de telle façon que, du pire, on puisse rire de la bonne façon. Alors, vous obtenez la suture, la cicatrice.

[Applaudissements]

 

 

La psychose ordinaire : l'issue par le symptôme.

La rencontre a eu lieu les 26, 27 et 28 avril 2013.

Vendredi 26 avril à 19h30 : Conférence :
L'impact de la langue sur le corps.

Samedi 27 avril 2013 à 9h30 : Séminaire de lecture :
"Extrait de l'histoire d'une névrose infantile. (L'homme aux loups)", In Cinq psychanalyses, de Sigmund Freud.

Samedi 27 avril 2013 à 14h30 : Séminaire clinique :
Présentations de cas cliniques par Ruzanna Hakobyan et Reine-Marie Bergeron, commentés par Dominique Holvoet.

Dimanche 28 avril 2013 à 10h : Séminaire théorique :
La psychose ordinaire : l'issue par le symptôme.

Lieu de la conférence et des Séminaires : UQAM, Local  DS­-1950. Pavillon J.­-A.­ De Sève (DS), 320 rue Sainte-­Catherine Est. Montréal. Métro Berri­-Uqam.

Cette rencontre du Pont Freudien est reconnue aux fins de la formation continue en psychothérapie et compte pour 12 heures de formation. Une attestation de formation continue en psychothérapie sera remise aux participants.

Psychanalyste à Tournai (Belgique), et psychologue, Dominique Holvoet est le Président de la New Lacanian School (NLS). Il est aussi membre de l'École de la Cause Freudienne (ECF) et de l'Association Mondiale de Psychanalyse (AMP). Il est directeur thérapeutique au Courtil jeunes adultes (institution pour enfants et jeunes psychotiques), enseignant à la Section clinique de Bruxelles et au Collège clinique de Lille. Il est l'auteur de nombreux articles.

Conférence : L'impact de la langue sur le corps.

Comment la langue nous façonne-t-elle ? Comment creuse-t-elle son sillon sur le corps et y laisse des traces ?
Le psychanalyste Jacques Lacan a posé que "L'inconscient est structuré comme un langage". La matière qui nous constitue comme sujet serait de la matière signifiante. On parle de nous, nous parlons, c'est ce qui nous fait être. Mais le corps là-dedans ? Le corps relève, lui, non pas de l'être, mais de l'avoir : on a un corps. Lorsque les deux, langue et corps, se rencontrent, que se passe-il ? Qu'est-ce que la psychanalyse peut dire de l'impact de la langue sur le corps ?

Séminaire théorique : La psychose ordinaire : l'issue par le symptôme.

Lacan, parti de la forclusion du Nom-du-Père pour rendre compte de la psychose, va, plus tard dans son enseignement, généraliser la forclusion et pluraliser les Noms-du-Père.
Dominique Holvoet reprendra le concept de forclusion chez Lacan, pour ensuite développer la seconde métaphore paternelle et ses conséquences cliniques - pas uniquement dans la psychose, mais dans le déplacement que cela opère dans la psychanalyse elle-même, et donc ses effets sur l'interprétation. Le travail de Lacan l'amène à serrer toujours plus la question du Réel comme ce qui vient donner consistance à la vie via le symptôme. Quelle fonction le symptôme prend-il alors ? Et quelle différence avec le sinthome ? Ainsi, quelle issue par le symptôme dans la psychose ordinaire ?

Séminaire de lecture : "Extrait de l'histoire d'une névrose infantile. (L'homme aux loups)", In Cinq psychanalyses, de Sigmund Freud.

Nous tirerons des enseignements du texte de Freud "Extrait de l'histoire d'une névrose infantile" dit "cas de l'homme aux loups". Nous montrerons le travail d'investigation clinique et de questionnement théorique que ce cas pose à Freud. C'est à partir de la discussion de Freud avec lui-même sur les concepts de Verwerfung et Verdrangung que Lacan va tirer son concept de forclusion. Nous verrons en quoi l'homme au loup est le premier cas de psychose ordinaire dans la psychanalyse, comment ce cas démontre la psychose ordinaire dans le décryptage qu'en fait Freud, avéré ensuite dans la cure avec Ruth Mac Brunswick.
Nous aborderons dans ce fil, les concepts freudiens d'inhibition, de symptôme et d'angoisse, en accentuant la valeur du symptôme, non comme trouble, mais comme régime de jouissance paradoxale qui constitue le dénouement de la fin de la cure.

  • 1. a. b. LACAN JACQUES, Le Séminaire, Livre IV, La relation d'objet, 1956-1957. (J.-A. MILLER, éd.), Paris, Seuil, 1957.
  • 2. CHRISTIAN BOBIN, 22 avril 2013. in L. ADLER (éd.) Hors-Champs. éd.Paris, France Culture, 2013.
  • 3. a. b. LACAN JACQUES, « Conférence à Genève sur le symptôme ». Le Bloc-Note de la psychanalyse, 5, 1985, pp. 5-21
  • 4. WALLON HENRI, Les origines du caractère chez l'enfant : les préludes du sentiment de personnalité (1934). Paris, PUF, 2009.
  • 5. LACAN JACQUES, « Position de l'inconscient » (1960). in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 829- 850.
  • 6. MILLER JACQUES-ALAIN, La fuite du sens (1995-1996). L'orientation lacanienne, Département de Psychanalyse de Paris VIII, (Paris), Cours, publié en partie.
  • 7. DE SAUSSURE FERDINAND, Cours de linguistique générale. (C. BALLY, A. SECHEHAYE et A. RIEDLINGER, éd.), Lausanne-Paris, Payot, 1916.
  • 8. LACAN JACQUES, « La science et la vérité » (1965). in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 855-877.
  • 9. FREUD SIGMUND, Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient. (NRF, éd.), (M. BONAPARTE et M. NATHAN, trad.), Paris, Gallimard 1930.
  • 10. FREUD SIGMUND, « Du mécanisme psychique de la tendance à l’oubli ». in Résultats, idées, problèmes, I, Paris, PUF, 1984, pp. 99-107.
  • 11. FREUD SIGMUND, « Oubli de noms propres ». in Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Payot, 1990.
  • 12. LACAN JACQUES, « L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison depuis Freud » (1957). in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 493-528.
  • 13. FREUD SIGMUND, L’analyse finie et l’analyse infinie. Paris, PUF, 2010.
  • 14. LEIRIS MICHEL, Biffures. Paris, Gallimard, 1948.
  • 15. FREUD SIGMUND, « L'inconscient ». in Métapsychologie, Paris, Quadrige/PUF, 2010, pp. 47- 86.
  • 16. LACAN JACQUES, « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » (1953). in Écrits, Paris, Seuil, 1966, pp. 237-322.