Alain Merlet : Les phénomènes psychosomatiques

Alain Merlet: Je remercie les responsables du Pont Freudien d'avoir bien voulu m'inviter à venir vous parler. Je suis d'ailleurs ravi de découvrir le Québec, où je viens pour la première fois. Je remercie particulièrement, donc, Pierre Lafrenière pour cette introduction, qui me paraît très pertinente. Il pose toute une série de questions... Je vous dis tout de suite que c'est en tant que psychanalyste que je vais vous parler des phénomènes psychosomatiques, ce n'est pas en tant que psychosomaticien. Je ne suis pas un spécialiste de la psychosomatique, bien que j'aie écrit pas mal sur ces questions. J'ai beaucoup travaillé dans des services de médecine, j'ai fait une thèse, au départ, sur la psychosomatique oculaire, à Strasbourg, ayant travaillé pendant pas loin de cinq ans dans un service d'ophtalmologie. J'ai travaillé également en dermatologie, en urologie, en pneumo-phtisiologie. En dermatologie, pendant quinze ans, j'étais attaché à l'hôpital à Bordeaux. Et maintenant, je travaille dans un service plutôt de traumatologie et de rééducation fonctionnelle, où je fais des présentations de malades. Alors, que dire du phénomène psychosomatique ?

Il faut dire que c'est un terme qui est composite, qu'il faut accepter comme une convention. C'est un terme un peu bâtard, puisqu'il associe le psychique et le somatique et que, si nous avons un psychisme et un corps, à ce titre, on pourrait dire que nous sommes tous des psychosomatiques. Mais en fait, bon. Nous prenons ce terme, comme vous l'a dit Pierre Lafrenière , nous parlons plutôt de psychosomatique en le désignant comme des « phénomènes ». Et je vais essayer de dire pourquoi, en le situant par rapport à la symptomatologie de conversion hystérique.

Il faut bien dire que la psychosomatique s'est souvent présentée comme une sorte de chimère, de fourre-tout où foisonnent les écrits les plus divers. C'est une zone qui est une zone frontière, qui a été revendiquée aussi bien par les médecins que par les psychanalystes. C'est quelque chose qui fait promesse de tout et de rien. Vous avez les titres les plus farfelus, comme ça, dans le genre : La psychosomatique n'existe pas , Nous sommes tous des psychosomatiques . Il faut bien dire, tout de même, que la psychosomatique s'est présentée d'abord comme une sorte de rebut de la médecine. Ce sont, comme l'a rappelé Pierre Lafrenière , des maladies d'étiopathogénie encore confuse, de traitement un peu difficile, des maladies qui évoluaient par poussées, qui ne répondaient pas tout à fait bien à la thérapeutique et qui ont été classées comme « psychosomatiques ».

Ce qui pourrait peut-être attirer un peu plus notre attention, c'est que ces maladies intéressent des organes de la vie de relation. En particulier, des organes des sens. Elles intéressent, par exemple, la peau, avec l'eczéma, le psoriasis, qui sont des maladies fréquentes. Elles intéressent le système respiratoire avec l'asthme, l'appareil digestif, avec, par exemple, les ulcères. Certains ulcères, en tout cas ; pas tous. La rectocolite hémorragique, la maladie de Crohn, ce sont des maladies graves qui, quand même, sont invalidantes pour un sujet. Il y a également des maladies qui touchent les yeux, par exemple le glaucome. Pas n'importe quel glaucome, là aussi ; pas les glaucomes qui sont liés à des causes d'ordre mécanique. On a classé également parmi les maladies psychosomatiques oculaires les chorio-rétinites séreuses, certains décollements de rétine, qui ne surviennent même pas, par exemple, chez les grands myopes. On a également parlé de psychosomatique dans certaines hypertensions artérielles, de cause inexpliquée.

En tout cas, ces maladies ont été classées comme psychosomatiques quand, finalement, le médecin donnait sa langue au chat, quand il avait des difficultés pour les traiter. On aurait pu penser qu'avec les progrès de la médecine, la liste des maladies dites psychosomatiques se serait rétrécie comme une peau de chagrin. En fait, ce qui est frappant, c'est que, bien sûr, il y a certaines maladies - par exemple l'ulcère lié à une bactérie, ayant véritablement une détermination organique extrêmement précise, bénéficiant d'un traitement efficace - ce genre d'ulcère-là ne peut plus être classé comme un phénomène psychosomatique. Par contre, d'autres ulcères, qui n'admettent pas le même déterminisme organique, peuvent être considérés comme psychosomatiques. On aurait pu penser, donc, que cette liste se serait rétrécie comme une peau de chagrin. Or, il n'en est rien. C'est-à-dire que ces maladies demeurent difficiles à traiter. Et surtout, elles touchent toujours les mêmes organes cibles.

Donc, on peut quand même se poser des questions. Pourquoi un sujet fait-il électivement ce genre de maladie à un moment donné de son existence ? C'est quand même une question qui a intrigué les psychanalystes à partir de Freud. Freud en a parlé, mais indirectement. Il n'utilisait pas le terme « psychosomatique ». Il avait plutôt tendance à les placer parmi ce qu'il appelait les « névroses actuelles ». Mais c'est surtout à partir de 1930 qu'on a commencé à s'intéresser aux maladies psychosomatiques. En particulier avec les travaux d'Alexander, qui, lui, attribuait une extrême importance au terrain, aux émotions, etc. Alors, pour tenter de se repérer dans ce que j'ai appelé un « fourre-tout », il me semble qu'on peut pratiquer une opposition robuste, comme le rappelait Pierre Lafrenière , c'est-à-dire bien distinguer le phénomène psychosomatique du symptôme névrotique. Et pour cela, rien de tel que de chercher une boussole pour s'orienter. Et la boussole pour s'orienter, il est facile de la trouver, tout compte fait, avec l'hystérie de conversion.

Alors, qu'est-ce que c'est que l'hystérie de conversion ? Dans la symptomatologie, si on distingue, grosso modo, le phénomène psychosomatique de l'hystérie de conversion :

Première distinction, elle est évidente : dans la symptomatologie de conversion hystérique, il n'y a pas de lésion organique. Qui dit « phénomène psychosomatique » dit phénomène, certes, c'est-à-dire quelque chose qui apparaît, qui disparaît. Mais, il ne faut pas oublier que, tout de même, il y a du somatique. Dans l'hystérie de conversion, il n'y a pas de lésion organique, et il y en a dans le phénomène psychosomatique. Vous me permettrez d'appeler ça, pour plus de facilité les PPS (phénomènes psychosomatiques). Mais cela dit, si cette condition est nécessaire pour parler de PPS, elle n'est pas suffisante pour définir un PPS.

Si vous êtes porteur d'une maladie psychosomatique réputée psychosomatique, vous n'avez pas forcément un « phénomène psychosomatique », c'est capital. Pour cela, il faut le démontrer, au cas par cas.

Dans l'hystérie de conversion, il y a mise en jeu, à l'aide du corps, au fond, d'une articulation signifiante ; ça c'est fondamental. Vous ne pourrez pas dire, par contre, la même chose en ce qui concerne un eczéma. Vous n'avez pas un eczéma qui représente un sujet pour un autre eczéma, évidemment.

L'hystérie de conversion implique un sujet. Vous avez un morcellement du corps, qui devient, en quelque sorte, table du jeu du langage, du signifiant. Freud l'avait pressenti dès 1893 : vous avez un article, qui a été écrit en français par Freud, qu'on trouve dans Résultats, idées et problèmes , ce sont des considérations sur les différences entre les paralysies neurologiques centrales et l'hystérie. Eh bien, ce qui frappe Freud, c'est que par rapport aux paralysies neurologiques organiques, dans les paralysies hystériques, le déficit, dit-il, est excessif et absolu. Le corps est comme découpé, dit Freud, par une anatomie populaire grossièrement langagière. Pour Freud, à ce moment-là de sa réflexion, l'organe ou la fonction sont paralysés parce qu'ils sont investis d'un excès de valeur affective. Le corps, au fond, est affecté, dans l'hystérie, par le langage, d'une certaine façon. Il est morcelé par le langage. Ce qui est intéressant, c'est que l'atteinte hystérique se traduit par une sorte de grève du corps. C'est cet excès de valeur affective d'une partie du corps qui rend cette partie inapte à fonctionner. Et Freud de dire, en français, de parler de contre-volonté, de rébellion du sujet, de rébellion du corps chez l'hystérique.

Le premier cas, le premier cas que Freud a considéré comme un cas de psychanalyse, de son propre aveu, se trouve dans les Études sur l'hystérie . C'est le cas d'Elisabeth von R. Il s'agit d'une jeune fille qui se plaignait de douleurs, au niveau de ses jambes, au point de l'empêcher de marcher. Freud, qui l'avait fait allonger - c'est la première patiente qu'il ait fait allonger - découvre soudain que ce corps parle. Par exemple, sa jambe droite se fait plus douloureuse quand on évoque les soins qu'elle avait prodigués à son père cardiaque. Alors que la jambe gauche s'endolorit lorsqu'il est question de la mémoire d'une s œur disparue, qui intéressait d'autant plus Elisabeth qu'elle était l'épouse d'un homme particulièrement séduisant. L'éveil de ses douleurs, nous dit Freud dans le texte, avait valeur de « boussole ». C'est-à-dire que certaines parties du corps, ces parties du corps qui avaient une valeur affective, eh bien, avaient une valeur signifiante. En quelque sorte, la jambe anatomique était remplacée par le signifiant « jambe ». C'est à cette occasion que Freud, pour la première fois, parla, à juste titre, de « conversion par symbolisation ». La conversion, comme le fait remarquer Freud à ce moment-là, réalise d'une façon presque comique, dit-il, un symptôme corporel, par symbolisation. Par exemple, - je cite Freud - : « Lorsque la malade ne bouge pas, elle est laissée tomber... C'est que la malade est clouée sur place, elle ne bouge pas. elle est laissée tomber ». C'est le cas classique de la fiancée laissée tomber, qui est frappée d'une esthésie abasique, qui ne peut pas se lever, parce qu'elle a été laissée tomber par son fiancé. J'ai vu des cas comme ça, bon.

« Qu'est-ce qui est premier ? », se demande alors Freud. Est-ce le corps, ou est-ce le langage ? « Peut-être a-t-on tort de dire que l'hystérique crée ses sensations par symbolisation. Peut-être n'a-t-elle nullement pris le langage comme modèle, mais a-t-elle puisé à la même source que lui ». C'est une citation de Freud. Autrement dit, Freud a très bien perçu que ce qu'il appelle, à ce moment-là, la « conversion par symbolisation » est sous-tendue par une structure identique à la structure de langage et où les éléments sont empruntés au corps. Mais alors, que vise cette conversion hystérique ? La réponse est, si on lit ce texte des Études sur l'hystérie , c'est finalement tout un roman, qui se trouve là, exprimé... C'est la remémoration de l'amour du père, de ce père qui envahit finalement toutes les Études sur l'hystérie . Ce qui oriente le symptôme, c'est finalement le complexe d'Œdipe. Et plus exactement pour l'hystérie, c'est le désir de l'Autre, c'est fondamentalement une insatisfaction dont le symptôme est le masque. Le symptôme hystérique, au fond, est un masque permettant à l'hystérique de poser sa question, celle de son insatisfaction par rapport au désir de l'Autre.

En somme, ce masque, c'est le masque même du désir. Il n'empêche que ce désir prend corps : il touche au corps. Et ça, Freud s'en était aperçu. Il en a eu le soupçon. Et c'est très perceptible dans le récit de ce cas qu'il nous fait encore d'Elisabeth von R. Je le cite : « Si l'on pinçait la peau ou les muscles hyperalgiques de la malade, ses traits prenaient une singulière expression de satisfaction, plutôt que de douleur ». Il y a donc une satisfaction, une jouissance, pourrait-on dire, dans l'hystérie de conversion. Une jouissance que trahit le corps lui-même, sinon le sujet. On peut se demander pourquoi le sujet a-t-il besoin de cette symbolisation, de cette représentation par le corps ? Eh bien, dit Freud, c'est parce qu'il y a une défense, une défense du sujet face au sexuel. Et cela, l'hystérique le crie par tous les pores de sa peau, c'est-à-dire qu'il se joue, sur cette table de jeu qu'est le corps, toute une symbolisation. Il n'en demeure pas moins qu'il y a un reste... Il y a un reste. Ça ne suffit pas pour exprimer l'insatisfaction hystérique. Et c'est ce reste qui trouve à se satisfaire, comme ça, sur ce mode paradoxal qu'est la jouissance. C 'est un mode paradoxal, parce qu'on pourrait dire qu'elle souffre à plaisir.

Si on néglige cette notion de défense, on peut imaginer, à ce moment-là, la conversion comme simplement liée à une pure suggestion langagière. Et ça, c'est fondamental. Sans cette notion de défense, on ne peut pas concevoir l'implication du sujet. Pour qu'il y ait symptôme de conversion, il faut qu'il y ait défense du sujet face à un excédent sexuel, comme dit Freud, insupportable. Mais qu'est-ce que le sexuel contre lequel l'hystérique se défend ? Il faut se garder d'un point de vue réaliste, évidemment.

Freud n'est pas tombé dans ce piège : le sexuel n'est en cause que dans l'après-coup du souvenir. Et c'est ainsi qu'il a valeur de traumatisme. L'excédent sexuel, pour utiliser le terme de Freud, ce reste in-traduit du sexuel ne l'est que parce qu'il est incompatible avec la parole. Il est fauteur de trouble en raison même de cette incompatibilité. Et Freud, par exemple dans la Lettre 46 à son ami Fliess, dit : « Ce qui reste in-traduit du sexuel aboutit à une conversion » 1. C'est clair, et c'est net.

Alors Freud, en 1910, a fait un pas de plus. Je vais vous parler d'un article qui est assez peu commenté, qui l'a été un petit peu plus depuis quelque temps. C'est l'article qui concerne les troubles psychogènes de la vision 2. Dans cet article, - je vais le résumer assez rapidement - Freud se pose la question du pourquoi de la cécité hystérique. Eh bien, il dit que, finalement, plus un organe est investi d'une valeur érogène, plus il est sexualisé, et plus il est inapte à sa fonction. C'est-à-dire qu'il ne peut pas, comme il dit, servir deux maîtres à la fois. C'est -à-dire que, par exemple, une bouche, si elle est érotisée d'une façon un petit peu excessive, - du style de Monika Lewinsky par exemple - on peut parfaitement concevoir que cela entraîne, chez ce sujet, un dégoût des aliments ou une anorexie, par exemple. Mais, dans un trouble visuel, on peut parfaitement concevoir que quelqu'un qui, véritablement, a des tendances voyeuristes tout à fait exagérées - j'ai vu le cas - puisse présenter une cécité hystérique. C'est-à-dire qu'on peut devenir aveugle à force de regarder. Mais il peut se faire que la pulsion scopique soit telle, qu'elle entraîne jusqu'à une hémorragie rétinienne. On a vu des cas semblables, j'en ai vu.

Alors là, c'est quelque chose que Freud envisage à la fin de cet article, et c'est tout à fait intéressant : c'est à ce moment-là qu'il parle de la fameuse complaisance somatique. Il dit qu'effectivement, il y a une complaisance somatique dans l'hystérie. C'est une complaisance parce qu'elle touche à l'organe érogène. Par exemple, vous vous rappelez la toux de Dora, et, surtout, l'aphonie qui était liée à l'aspiration qu'elle avait pour le corps de Madame K. et surtout pour la façon qu'elle avait de soutenir le désir du père impuissant. Mais ça peut aller beaucoup plus loin. C'est-à-dire que cette complaisance somatique peut quelquefois. Là, Freud a une certaine difficulté pour parler de complaisance somatique, parce qu'il met dans le même sac les névroses actuelles et la complaisance qui peut exister, dans l'hystérie, pour l'organe.

Ce qui a frappé, par exemple, quelqu'un comme Lacan, c'est qu'il y a complaisance pour l'organe, mais on ne peut quand même pas dire qu'il y a une complaisance somatique dans l'hystérie, dans la mesure où, justement, l'hystérique fait la grève du corps. On a vu ça tout à l'heure, en particulier, à propos des paralysies. C'est-à-dire qu'il y a quand même un refus du corps à suivre, comme ça. Il dit : « à suivre le signifiant maître ». C'est-à-dire que bon, normalement, si je me lève, il n'y a aucun problème, n'est-ce pas ? Si je lève le bras, il n'y a aucun problème entre la pensée que j'ai de vouloir lever le bras et le fait de le lever. Je fais ça automatiquement. Mais si, par exemple, ce bras que je lève est la métaphore de mon érection, n'est-ce pas, et que de ce côté-là, j'ai quelques problèmes, eh bien, et si je suis profondément hystérique, il se pourrait fort que j'aie un petit problème pour lever le bras, que je fasse une paralysie. Autrement dit, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que la défense, ce n'est rien d'autre que le refoulement d'une représentation. Sinon, la conversion hystérique ne serait que le simple résultat d'une suggestion.

Et effectivement, vous pouvez obtenir un symptôme hystérique sous hypnose, ou sous suggestion, mais il n'en demeure pas moins que la cause de l'hystérie. c'est-à-dire que la satisfaction, la jouissance n'est pas entamée, parce que, finalement, vous n'allez faire que la déplacer. Vous n'aurez pas touché à la cause.

Alors, maintenant qu'on a vu ce que c'était qu'un symptôme hystérique, c'est-à-dire un symptôme qui suppose une articulation signifiante, avec division du sujet, un certain mode de satisfaction liée à une insatisfaction, d'une certaine façon, eh bien on va pouvoir parler du phénomène psychosomatique.

Effectivement, c'est un phénomène. Un phénomène, ça apparaît et ça disparaît. Ce n'est pas une structure comme dans l'hystérie : dans l'hystérie, il faut au minimum une batterie signifiante, un premier signifiant qui renvoie à un autre signifiant. Et finalement, le sujet est divisé, du fait même de cette représentation signifiante. Eh bien, là, non. C'est quelque chose qui apparaît sur le mode binaire, du 0 ou du 1. Ou bien vous avez un eczéma, ou bien vous ne l'avez pas. Vous avez une crise d'asthme, ou vous avez une crise d'ulcère, vous avez une crise de recto-colite, ou vous ne l'avez pas. Il n'y a pas, dans le phénomène psychosomatique, cette construction raffinée qu'on a pu constater, par exemple, chez Élisabeth von R. La jambe gauche qui renvoyait au père, la jambe droite qui renvoyait au beau-frère, etc., tout le mécanisme du refoulement, ce masque du désir. Il n'y a pas de construction raffinée qui évoque le désir de l'Autre, qui fait la nique au maître de façon non complaisante, malgré la complaisance apparente organique. Néanmoins, pour parler de phénomène psychosomatique, même si ce n'est pas un symptôme, même s'il n'y a pas la mise en jeu d'une articulation signifiante, il y a quand même, comme dit ce mot bâtard qu'est le mot « psychosomatique », il y a du « psycho », il y a du langage. Pour nous, on ne peut parler de phénomène psychosomatique - à moins de parler d'une espèce de météorite - que si c'est quelque chose qui, tout de même, se tient à la limite de la perspective langagière. Donc, retenons bien que c'est finalement quelque chose qui est un phénomène, qui apparaît, qui disparaît, qui a quelque rapport avec le langage, mais qui n'a pas une articulation langagière comme dans un phénomène de conversion.

Alors, comment en parler ?

Je crois qu'il n'y a guère que Lacan qui y est arrivé... Parce qu'on a voulu faire parler le phénomène psychosomatique : Groddeck, par exemple, qui a assimilé un phénomène psychosomatique à un symptôme hystérique. Par exemple, il disait à une femme qui avait un problème utérin, un kyste de l'utérus, un fibrome, ou même un cancer. : « Bien, madame, vous avez cette affection parce que vous avez un désir de grossesse rentré ». Ça avait l'avantage, quand même, d'attirer l'attention sur ce qui se jouait là, pour le sujet. Mais enfin, non, le phénomène psychosomatique, ce n'est pas ça.

Je crois qu'il n'y a guère que Lacan qui a donné véritablement un aperçu sur ce qu'était le phénomène psychosomatique. Je dis bien un aperçu, parce que c'est très difficile de parler du phénomène psychosomatique. Il n'est pas commode de parler du symptôme, mais parler du phénomène psychosomatique, c'est encore pire. On ne peut en parler - c'est Lacan qui le disait, encore en 1975, avec toute l'expérience qu'il avait, et avec le génie dont il disposait - on ne peut que balbutier là-dessus, on ne peut en parler que par analogie. Mais il est quand même arrivé à donner quelques définitions. C'est-à-dire qu'il a parlé du phénomène psychosomatique sur deux versants : sur le versant du signifiant - donc pas de l'articulation signifiante - et sur le versant de la fixation de jouissance, qui était propre au phénomène psychosomatique. Donc il y a deux versants, et ce ne sont pas du tout les mêmes que ceux qu'on observe, par exemple, dans les cas de conversion hystérique.

Et Lacan y est arrivé en décortiquant, pour ainsi dire, l'Autre du langage. C'est assez simple, au fond. Alors que le symptôme suppose une articulation signifiante, - avec le minimum de batterie signifiante S 1 -S 2 , - alors que le symptôme entraîne, de ce fait, une division subjective. C'est-à-dire que le symptôme entraîne une opacité ; par exemple, l'hystérique vous présente son bras paralysé, et vous demandez :

« Mais qu'est-ce qui est arrivé ?

- Je ne sais pas. »

C'est-à-dire que le sujet est divisé : pour lui, ce symptôme est opaque. Il est opaque parce qu'il y a là toute une articulation signifiante, mais une articulation signifiante qui vient se substituer à une autre. Il y a tout un travail de substitution : le symptôme est une métaphore.

Nous avons vu l'exemple avec cette personne qui, par exemple, était clouée sur place quand elle a eu affaire à. Par exemple, quand elle a surpris son mari avec sa maîtresse, ou bien la fiancée qui a été laissée tomber. Ça se conçoit assez facilement que le symptôme puisse être une métaphore.

Mais Lacan, en décortiquant cette articulation signifiante, très simplement, en posant que le symptôme, c'est fait d'une articulation signifiante. C'est parfaitement concevable, d'ailleurs, par exemple dans l'expérience très simple de l'association libre, où finalement vous dites des choses où vous ne savez pas ce que vous racontez. On vous dit : « Dites tout ce qui vous passe par la tête ». Vous dites une chose, ça n'a pas grand-sens. Vous en dites une autre, et cela renvoie à une autre, puis finalement vous ne savez pas ce que vous dites. Vous vous apercevez que vous croyiez parler, et vous êtes parlé. Puis tout d'un coup, l'analyste vous fait par exemple une interprétation ou vous souligne quelque chose, ou ponctue ce que vous êtes en train de dire. Et vous vous apercevez que finalement, à votre insu, vous aviez dit quelque chose. Il y a une sorte de savoir insu qui s'est fabriqué. Et c'est comme cela que fonctionne quand même une psychanalyse, en tout cas qu'elle est mise en acte.

Eh bien, dans le phénomène psychosomatique, Lacan a dit que cette articulation signifiante S 1 -S 2 , précisément, dans les phénomènes psychosomatiques, eh bien, tout se passait comme si elle était bloquée. Il y a comme une sorte de gel de l'articulation signifiante, une soudure, une gélification.

Eh bien, cela a pour conséquence que le sujet, vous ne pouvez plus le repérer. Il y a un black-out du sujet : il est comme entre parenthèses. S'il est divisé, il se plaint. S'il n'est pas divisé, ça apparaît, comme en silence, comme ça. Vous avez un eczéma. Imaginez que vous ayez eu trois deuils successifs en six mois par exemple. À un moment donné, que vos défenses - le travail que suppose le deuil, pour faire face à ce trou, à cette perte - soient débordées, on peut voir apparaître, assez souvent en effet, des phénomènes psychosomatiques. Ça vient à la place. Vous ne savez pas pourquoi et, tout d'un coup, apparaît cette chose-là.

Alors comment Lacan a-t-il pu arriver à définir le phénomène psychosomatique ? C'est le seul, le premier psychanalyste qui a pu donner, quand même, une définition qui tienne debout. Il a dit : dans les phénomènes psychosomatiques, il y a une induction signifiante. Bien sûr il y a des maladies qui, malheureusement, nous tombent du ciel, ou de je ne sais où. Mais dans le phénomène psychosomatique, il dit : non, ce n'est pas ça, il y a quand même une induction signifiante. C'est-à-dire que tout se passe comme s'il y avait une sorte de pavé, comme ça, qui vous tombait dessus, une induction signifiante qui se passe, mais sans provoquer la division du sujet.

Que dit-il encore ? C'est quelque chose qui n'est pas un signifiant, mais tout de même où l'induction signifiante se produit sans provoquer la division du sujet. On peut le concevoir, puis c'est quand même une maladie ! Vous avez une recto-colite hémorragique, vous avez un eczéma, c'est un fait : vous l'avez ! C'est indubitable.

Mais il y a une induction signifiante qui n'a pas provoqué la division du sujet. Alors, comment concevoir ça ?

Il dit. Bien, essayez de vous reporter, par exemple, à l'expérience de Pavlov. Imaginez un chien. Expérimentalement, au fond, on peut réaliser des phénomènes psychosomatiques chez l'animal. Bon, on crée un réflexe conditionné, on le fait saliver, par exemple, régulièrement, avec une trompette, avec un sifflet ou n'importe quoi, une clochette. Puis imaginez, par exemple, que l'expérimentateur soit particulièrement capricieux, ou sadique. C'est-à-dire qu'il va souffler dans la trompette ou dans le sifflet, régulièrement, comme ça. Et tout d'un coup, il va s'amuser à le faire n'importe comment. Eh bien, au bout d'un certain temps, vous allez observer, par exemple, chez un chien, la perte de ses poils, et vous pouvez même provoquer un ulcère par contrainte.

C'est parfaitement concevable, chez l'être humain. Dans la mesure où, par exemple, un besoin élémentaire peut être perturbé par le caprice du désir de l'Autre.

Mais, ajoute Lacan, dans cette histoire, le chaînon-désir est conservé. Ce qui est intéressant, c'est que ça vient ruiner la conception d'un phénomène psychosomatique comme quelque chose qui serait une structure. Parce qu'il y a toute une école, l'École psychosomatique de Paris, qui a soutenu que le phénomène psychosomatique était une structure. Une structure très archaïque, où il y aurait une sorte de pulsion de mort qui menacerait de désintégrer le sujet. Des auteurs, comme Marty, par exemple, dans leur livre L'investigation psychosomatique , recommandaient une grande prudence face à quelqu'un qui était atteint d'un phénomène psychosomatique. Puisqu'à tout instant risquait de se manifester un effondrement corporel.

Voilà comment ça se passait. Dans leur investigation, il y avait le malade. Et puis, il y avait à la fois celui qui posait les questions - il s'agissait d'être le plus banal possible pour ne pas réveiller le chat qui dort, n'est-ce pas - et puis il y avait une autre personne, soi-disant pour éponger l'agressivité. Si vous avez pris la peine de lire les livres qui tendent à nous laisser croire qu'il pourrait exister un portait-robot du malade psychosomatique, vous avez sans doute vu, si vous avez lu ça, qu'il est question de pensée opératoire, de l'impossibilité de fantasmer chez ces sujets, etc. On nous les présente, véritablement, sur le mode déficitaire. complètement déficitaire... Or, ça n'est pas du tout, à mon avis, comme ça que les choses doivent être envisagées.

C'est-à-dire que face à un phénomène psychosomatique, quand Lacan nous dit qu'il faut le considérer comme une induction signifiante qui n'a pas suscité la division du sujet, mais où le désir est conservé, il existe quand même une possibilité de trouver le sujet. Il ne s'agit pas d'une structure. D'abord, il n'y a pas de structure puisque, précisément, il y a une défaillance de l'articulation signifiante. L'expérience que j'en ai eue m'a démontré tout à fait le contraire.

Il faut dire qu'il y a une dimension politique dans le phénomène psychosomatique. Vous avez un malade qui est à l'hôpital. Il joue à la belote avec ses copains, ses camarades, etc. Tout d'un coup, on lui dit : ah, voilà, il va y avoir une présentation de malades, avec des gens qui déjà ont des préjugés théoriques. Et où, surtout, il ne faut pas réveiller le chat qui dort. Eh bien, vous allez avoir en effet une réponse du berger à la bergère, c'est-à-dire qu'ils trouvent tout à fait ce qu'ils attendaient.

Si, par contre, vous avez pris la peine d'avoir des entretiens préliminaires avec ces sujets, ce sera différent. Pensons-y, c'est horriblement gênant, si vous avez des squames partout, si vous sentez le goudron parce qu'on vous a traité, vous n'êtes bien sûr pas prêt à parler avec un psychanalyste. Ce que vous voulez, c'est être traité le plus rapidement possible. Mais, par contre, si le psychanalyste prend la peine, d'abord, d'être accompagné du médecin, d'être présenté par le médecin, il en va tout autrement avec le malade. Si on prend le temps, et si on ne parle pas nécessairement, d'ailleurs, directement de ce phénomène, eh bien on va voir apparaître quelqu'un, quand même. Et on va s'apercevoir que le phénomène n'est pas apparu n'importe quand dans la vie d'un sujet.

Alors, vous savez qu'on a beaucoup parlé à propos de ce blocage de l'articulation signifiante, Lacan en a parlé. Il a dit que tout se passe comme si, au fond, il y avait une sorte d'holophrasisation. Qu'est-ce que ça veut dire, quand Lacan a parlé d'holophrase ? Holos en grec, signifie « entier ». On s'est beaucoup excité sur ce terme, mais je crois qu'il ne faut pas s'hypnotiser là-dessus. Certains sont partis à la chasse aux holophrases comme si dès que quelqu'un allait parler, il allait fournir des holophrases, et qu'à ce moment-là, il suffisait de tirer dessus - tac ! - on tape sur l'holophrase, et hop ! le phénomène psychosomatique allait disparaître. C'est beaucoup plus complexe que cela.

Je crois que ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a une tendance au blocage, effectivement, de l'articulation signifiante. Que ce blocage, forcément, du fait du défaut de symbolisation, se traduit par une sorte d'engluement imaginaire du sujet par rapport à l'autre. Ainsi Lacan a pu dire que les phénomènes psychosomatiques sont profondément enracinés dans l'imaginaire.

Moi, j'ai retenu, finalement, une définition qu'avait donnée Lacan, dans son premier Séminaire, Les écrits techniques , qui me paraît particulièrement éclairante là-dessus. Il dit : « Toute holophrase se rattache à des situations-limites où le sujet est suspendu à un rapport imaginaire à l'autre. » Lacan a beaucoup insisté sur cet engluement imaginaire d'un bout à l'autre de ses séminaires. Lacan n'a jamais fait un séminaire sur le phénomène psychosomatique ; il y a quelques notations éparses. Mais, en ce qui concerne l'engluement imaginaire, l'enracinement des phénomènes psychosomatiques dans l'imaginaire, ça, c'est une constante chez Lacan, d'un bout à l'autre.

Alors. défaut d'articulation signifiante, engluement imaginaire. comment concevoir le phénomène psychosomatique ?

Ce qui est curieux, c'est que chaque fois que Lacan remanie sa conception du symptôme, il parle, comme ça, de « biais du phénomène psychosomatique », de même qu'il parle de « biais de la phobie ». Et c'est dans une conférence qu'il avait prononcée à Genève en 1975 que Lacan nous a donné des indications très précises. À la fois très précises, mais avec beaucoup de modestie. C'est à ce moment-là qu'il dit qu'au fond, on ne peut en parler que par analogie, qu'il faut faire très attention, etc., que c'est un des domaines des plus inexplorés, dit-il. Jamais Lacan ne s'est-il présenté comme un Champollion des phénomènes psychosomatiques. Il se rend bien compte qu'il y a là quelque chose qui fait trace, qui est comme un indice, qui est comme un « trait unaire », dit-il, comme des hiéroglyphes que, le plus souvent, nous ne savons pas lire. Ça ne signifie pas, pourtant, qu'ils sont toujours illisibles ; on ne sait pas les lire, mais « le plus souvent », ça se manifeste comme un cartouche livrant le nom propre. Vous savez qu'un cartouche, c'est un rectangle dans lequel se trouve le hiéroglyphe.

C'est un écrit illisible, dit-il, mais qui fait signe. Il le compare également à un sceau ; ça, c'est intéressant, parce qu'un sceau, on peut le toucher. Mais c'est un sceau qui n'est quand même pas un sceau au sens où ce n'est pas une imago, ce n'est pas un mixte d'imaginaire et de symbolique. C'est un sceau plutôt imaginaire.

Il en arrive même à dire alors cette phrase qui m'a toujours intrigué, c'est que dans le phénomène psychosomatique, « le corps fait trait dans le signifiant ». Ce n'est pas le signifiant qui fait trait dans le corps, mais c'est le corps qui fait trait dans le signifiant. Tout se passe, dans le fond, comme si le corps était agent d'une écriture singulière.

Ce qu'il importe, au fond, de concevoir - et c'est Jacques-Alain Miller qui a résumé tout à fait excellemment la pensée de Lacan - c'est que, dans le phénomène psychosomatique, il y a une sorte de contournement de la structure de langage. Il y a quelque chose qui, quand même, touche le langage, mais la structure elle-même est contournée. Et c'est dommage qu'il n'y ait pas un tableau ici, parce que ça me serait plus facile de parler du phénomène psychosomatique en écrivant ce contournement de la structure du langage pour vous en parler.

C'est une sorte d'écriture. Il faut le concevoir comme une sorte d'écriture d'un signifiant absolu. Il n'y a pas incorporation de la structure de langage. Ou en tout cas, s'il y a incorporation de la structure de langage, tout se passe comme s'il y avait une sorte de résidu, de reste, qui venait encombrer un sujet. Et à tel point que cela se marque sur le corps. Et c'est quelque chose, au fond, qui fait obstacle à la constitution du symptôme.

Alors, dans certains cas - ça c'est pour répondre à Pierre Lafrenière  - on peut obtenir une certaine dialectisation avec la parole et avec le langage, et faire en sorte que quelqu'un puisse se séparer de ce reste brut de jouissance. Ça peut, en quelque sorte, passer au symptôme. On peut arriver à symptômatiser cette problématique. Et dans d'autres cas, non. Il y a au fond deux éventualités face à un phénomène psychosomatique.

Ou bien c'est un simple blocage de l'articulation signifiante, comme ça peut arriver à n'importe qui : vous êtes, par exemple, pris dans un accident de chemin de fer, dans une catastrophe, vous avez trois deuils successifs, ou même deux deuils successifs, vous ne pouvez pas y faire face, vous pouvez parfaitement faire un phénomène psychosomatique qui sera sans lendemain. Vous êtes débordé, c'est-à-dire il y a quelque chose que vous n'arrivez pas à assumer. En quelque sorte, le sujet, là, il est repérable, il flotte, il est débordé et dépassé. Il est d'ailleurs recommandé de se traiter, de prendre des corticoïdes, etc. Bon, pourquoi pas ? Ça n'empêche pas, hein...

Mais vous pouvez aussi vous trouver face à quelqu'un pour qui le phénomène psychosomatique, véritablement, est une façon de trouver une sorte d'identité dans l'existence. Il y a des sujets pour qui le père n'a pas montré la grand-route, c'est-à-dire que le Nom-du-Père, comme on dit, n'a pas fonctionné. D'ailleurs ce sont des sujets qui ne sont pas forcément délirants, mais pour qui le fait d'avoir, par exemple, un psoriasis ou un eczéma fonctionne comme une sorte de poinçon de l'identité, comme un blason, comme une carte de visite, comme un passeport pour l'existence. C'est très frappant, et on le voit très souvent.

Et je me souviens très bien d'un malade qui venait régulièrement, comme ça, à l'hôpital, pour « prendre les eaux » disait-il, comme du temps de Louis XIV. Et moi j'avais recommandé - étant attaché au service - j'avais recommandé au patron, qui heureusement m'avait à la bonne, de surtout, effectivement, traiter ce patient avec le plus d'égards, avec le plus grand soin, de lui faire « prendre les eaux ». Effectivement, les infirmières l'entouraient de beaucoup de respect. C'était quelqu'un, un grand psychotique, mais qui tenait le coup - il n'avait même pas besoin de neuroleptiques - qui tenait le coup, avec son psoriasis. Et il avait même accepté de venir à notre présentation, la présentation de malades. Il était venu en présentant son psoriasis comme un partenaire éminent. Il avait présenté son psoriasis en faisant un long poème, pour son psoriasis. Il nous a fait une présentation en vers.

Donc, deux éventualités tout à fait différentes.

Je voudrais, pour illustrer tout ce qui a pu être dit sur ce qui fait la spécificité du phénomène psychosomatique, vous présenter un cas, qui, je crois, est vraiment paradigmatique, exemplaire, en tout cas, de ce que peut être un phénomène psychosomatique pour un sujet qui n'a pas une structure psychotique - bien qu'au départ, j'aie pu le craindre.

Or, c'est quelqu'un qui était venu me voir quand j'ai commencé ma pratique analytique. C'était une jeune femme, d'environ vingt-trois ans, qui était secrétaire, et qui était allée consulter son médecin - un médecin du travail -, peu de temps avant de venir me voir, parce qu'elle présentait une plaque d'eczéma au niveau de son cou. C'était inesthétique, et, bon, c'est quand même quelque chose d'assez bénin. Et voilà que son médecin, au lieu de lui proposer une pommade. il aurait pu lui dire, au fond : « Vous avez quelque chose de psychosomatique », pourquoi pas ? Au lieu de l'interroger sur les éventuels antécédents allergiques, il lui dit : « Vous savez, Mademoiselle, la peau peut pleurer ».

Eh bien, cette phrase a bouleversé cette personne. Elle était complètement sens dessus-dessous. Elle est arrivée complètement égarée. Elle pleurait, elle riait, elle n'avait eu de cesse de chercher à parler à quelqu'un et finalement, elle était tombée sur moi, je crois que c'était même le hasard, par l'annuaire, comme ça ! Elle tenait des propos décousus. Et de cette époque, elle dira plus tard : « À ce moment-là, j'étais folle, parce qu'interdite. » Ou encore : « J'étais dans le coma. » Vous voyez le sujet qui est irrepérable à partir de l'articulation signifiante. Petite fille, d'ailleurs, elle pensait qu'être dans le coma, c'était être dans un lieu-dit. Ça arrive comme ça. Je me souviens très bien d'une petite fille qui pensait que le semblant, c'était le sang qui était blanc. Bon, chacun de nous a comme ça des petites.

Je l'interroge un petit peu sur sa vie. Eh bien, elle était à l'image de sa présentation. C'est-à-dire un petit peu chaotique. Je lui ai demandé de quoi elle se plaignait. Finalement, elle ne m'a pas parlé directement de son. Si, il y avait la phrase du médecin, mais elle ne se plaignait pas tellement de son eczéma. Et elle me dit qu'elle se plaignait d'une sensation de torpeur qui l'envahissait face au regard d'autrui. C'était quand même particulièrement gênant, parce que face à son patron, tout d'un coup, lorsqu'elle tapait, si son patron la regardait, elle était prise d'un accès de somnolence épouvantable.

Je l'interroge sur sa famille. Particularité : sa mère était espagnole, et elle avait un père sourd. Mais un père sourd qui refusait d'utiliser sa prothèse auditive en famille. Pour avoir la paix, parce qu'il ne supportait pas l'intrusion des voix. C'est vrai que c'est quelquefois très désagréable pour les sourds, tout d'un coup, de mettre leur prothèse : ils ont l'impression qu'on leur gueule dans les oreilles. La mère, sous le prétexte d'être l'oreille du père, était omniprésente.

Et bon, pendant six mois, cette patiente est venue me parler avec des hauts et des bas ; elle était plus ou moins déprimée. Fort heureusement, à l'époque il n'y avait pas le Prozac, il n'y avait pas des trucs comme ça, sinon, elle aurait couru chez le premier psychiatre qui lui en aurait donné, bon.

Et comme c'était au début de ma pratique, aux innocents les mains pleines, j'ai pris le risque de l'allonger. Et vous savez, j'ai pris le risque de l'allonger parce que, au moment même où elle allait signer un chèque, tout d'un coup, elle n'est plus arrivée à signer son nom. Je me suis dit que là, il y avait quelque chose qui la concernait, qu'il fallait absolument qu'elle parle, précisément, en son nom, que cette femme était égarée, que je considérais cela comme un symptôme. C'est moi qui ai pris la décision, au fond, de considérer que c'était un symptôme. Au fond, je me suis constitué comme un complément de son symptôme. Le début de l'analyse était complètement chaotique. Elle ne cessait de se retourner et de rire. Je me demandais qu'est-ce que j'étais en train de fabriquer avec elle.

Un jour, elle me dit : « Je suis dans un pays où on n'aurait pas la monnaie. » Je dis bien « on ». C'est assez frappant, d'ailleurs, chez le psychosomatique - Lacan ne se refuse pas à l'appeler le psychosomatique, bien qu'il n'y ait pas la structure psychosomatique. Elle dit : « Je suis dans un pays dont on n'aurait pas la monnaie ». Ce qui est frappant, c'est cette « impersonnaison », comme on l'appelle quelquefois. La troisième personne, comme dit le linguiste Benveniste, c'est la non-personne, le non-sujet. Elle flottait, si on peut dire. Au fond, quand elle dit « je suis dans un pays dont on n'aurait pas la monnaie », c'est la phrase qui résumait sa position, perdue, déboussolée. Les accès de torpeur redoublaient. Et le pire survient lorsque, regagnant en voiture le village de ses parents, elle oublie de tourner, comme elle me dit. Elle oublie de tourner : elle est rentrée dans un mur. Fort heureusement, il n'y a pas eu de dégâts corporels. Ensuite, elle s'est mise à présenter de nombreux kystes, cutanés, gingivaux. Alors là, je commençais à être inquiet, parce que. Ensuite, elle s'est mise à perdre ses papiers d'identité, et son argent. Bref, acting-out, phénomènes psychosomatiques redoublés. Je commençais vraiment à être inquiet.

Mais j'ai maintenu. Elle s'absentait, je lui téléphonais, elle revenait, etc. Jusqu'au jour où elle me dit, alors là c'est vraiment la première formulation du sujet : « Je vous déteste ! À cause du vide que vous créez. » Après ce moment-là, elle s'absente une semaine. Et puis, elle revient avec un rêve, et c'est là que tout a commencé.

Ce rêve se déroule en quatre temps. Elle assiste à un cours que je donne. Vous voyez, déjà un rapport au savoir qui s'installe. Deuxièmement, dans ce rêve, elle a envie de déféquer et sort de la salle de classe. Elle cherche les WC, elle ne les trouve pas, elle défèque dans sa main, et avale l'excrément. Mais troisièmement, elle rencontre alors une femme, qui lui indique les toilettes. Et elle s'aperçoit qu'elle n'a pas avalé l'excrément, qu'elle va déposer dans une enveloppe aux WC. Elle revient au cours, demande de quoi j'ai parlé. On lui répond qu'il s'agissait d'un appareil à gonfler les seins.

Je vais tâcher d'expliquer ce rêve. Mais enfin, entre-temps, je vais vous dire comment elle l'a commenté. Eh bien, la première chose qui lui est arrivée après ce rêve, c'est qu'elle a évoqué, avec beaucoup de gêne, un souvenir humiliant de sa puberté. Alors, vous allez voir ce que c'est que ce fameux S 1 dont je parlais. Cette espèce de « pavé de l'Autre ». C'est un S 1 mais qui est quand même cette marque. Ce n'est pas n'importe quoi, ce n'est pas un insigne qu'on va pêcher, ce n'est pas un slogan, ce n'est pas un piercing qu'on se colle, n'est-ce pas, sur le dos. Non ! C'est quelque chose qui est à la limite, évidemment, de la perspective langagière, c'est une induction signifiante qui touche le sujet sans qu'il puisse l'articuler de façon métaphorique, mais où le chaînon-désir est conservé. C'est également une fixation de jouissance d'un type particulier.

Alors, voilà le souvenir humiliant qu'elle va me rapporter. C'est un souvenir humiliant qu'elle n'avait jamais voulu raconter à qui que ce soit. C'était le fait que sa mère, lorsqu'elle était petite, et même lorsqu'elle était grande. (c'est une mère qui était une mère farfouilleuse, elle fouillait partout. Elle ne pouvait avoir aucune intimité, sa mère allait farfouiller partout etc., bon). Sa mère avait l'habitude d'aller chercher les culottes de la fille, où elle repérait chaque fois des traces suspectes. Elle disait alors, avec un petit sourire soupçonneux : « Ah ! Voilà le cachet de la perception. ». Elle était véritablement assujettie, fixée par la honte, au fond, comme cachetée par cette remarque, le « cachet de la perception ». Et alors, le plus fort, c'est que le père était percepteur. Ça ne s'invente pas, ce genre de chose !

Moi, je ne le savais pas, à l'époque. Je savais qu'il était sourd, c'est vrai. Alors, il me vient soudain à l'esprit de lui dire, de lui répondre.

Je réponds à votre question : « Est-ce qu'on peut traiter le phénomène psychosomatique ? » Je dis oui, mais à condition de le prendre par le biais du transfert. Et par le biais de la jouissance qu'il y a dans la fixation, mais ça, encore fallait-il que cette patiente me le dise... Elle ne me l'a dit qu'après ce fameux rêve qui m'instituait en sujet supposé savoir, puisque, rappelez-vous : elle assiste à un cours que je donne ; elle a envie de déféquer, c'est-à-dire que c'est parfaitement reliable à ce souvenir humiliant de sa puberté ; elle n'ingurgite pas, c'est-à-dire qu'elle ne s'incorpore pas, finalement, ce signifiant humiliant, elle va le déposer dans une enveloppe. au fond, on pourrait dire, dans l'enveloppe de son symptôme. Elle revient au cours, c'est-à-dire qu'elle accepte, qu'elle consent à ce que ça passe à l'inconscient, à faire un travail avec moi. On lui répond qu'il est question d'appareil à gonfler les seins, c'est-à-dire que la dimension du phallus, de la signification phallique apparaît là, nettement.

Alors, je lui dis soudain, d'une façon tout à fait discrètement interrogative, - et encore une fois, aux innocents les mains pleines, parce que quand on commence, comme ça, la pratique analytique, on est particulièrement gonflé quelquefois - je lui dis : «  Comment ? Le caché de la perception ? Ce qui est caché de la perception ? » Et je jouais ainsi sur l'équivoque, à partir de l'homophonie de la grammaire. Alors là, ce fut un long silence. Et puis, la séance s'arrêta, mais elle m'en donna la raison à la séance suivante.

Elle dit : « J'ai été ahurie, quand vous m'avez dit ça. Et j'ai senti soudain le poids de votre regard. » Et elle ajoute : « On dit, et on entend tout autre chose. C'est comme si j'étais passée derrière une glace. » C'est-à-dire qu'elle est passée du « on » au « je ». Tout se passe comme s'il y avait eu une sorte de franchissement du plan imaginaire où elle s'abîmait, où elle s'engluait. Il s'est donc produit une sidération, mais, aussi, un franchissement. Une sortie de ce domaine imaginaire où elle était complètement égarée.

Et immédiatement après, elle me rapporte un autre rêve où elle figure nue, avec une lettre dont le timbre lui cache le sexe. Il s'est donc produit un brusque virage de sa position subjective qu'elle traduit en ces termes : « Je me vois maintenant dans la glace, dit-elle, avec mes propres yeux. Je réalise que c'est par l'oreille qu'on entend, c'est par les yeux qu'on voit », et elle se met à rire. « Maintenant que je m'entends. Je m'arrête. » C'est-à-dire que finalement, elle prend corps. Elle prend corps, elle était, pour ainsi dire, effectivement psychosomatique, mais on pourrait dire que, d'une certaine façon, elle n'avait pas de corps. Elle était égarée, elle maltraitait particulièrement son corps. Souvenez-vous quand elle avait oublié, par exemple, de tourner. Bon, elle mettait quand même sa vie en jeu.

Au fond, qu'est-ce qui s'est passé là-dedans ? Il y a une sorte de dépliement, de déblocage de l'holophrase, de la soudure. Le cachet de la perception, ça fonctionnait comme un sceau. C'est quelque chose qui marquait son corps. Et à ce moment-là, en dépliant, en débloquant cette articulation signifiante, eh bien, c'est un sujet qui apparaît. Elle passe du « on » au « je », et elle commence, finalement. elle prend corps. Elle prend corps avec le travail qu'elle fait avec moi dans cette psychanalyse.

Eh bien, à partir de ce moment-là, il ne sera plus question, pendant plusieurs années, de PPS ou d'accident. Elle ne se retournera plus sur le divan, comme elle le faisait, mais elle ne cessera d'y retourner. Je dois dire, je ne me suis même pas inquiété de la disparition de l'eczéma. C'est beaucoup plus tard qu'elle me l'a dit, elle n'en parlait plus, d'ailleurs. Et, peu après, va apparaître une symptomatologie phobique, une phobie d'impulsion. Elle avait une crainte obsédante de se saisir d'un couteau et de le flanquer dans le ventre de son fiancé, etc. Jusqu'à ce qu'elle relie cette phobie d'impulsion à un souvenir de son adolescence. Elle avait lu La Bête humaine d'Émile Zola, elle avait été fascinée - alors on retrouve effectivement, quand même, cette prédilection pour l'imaginaire chez ces sujets-là - elle avait été fascinée par la scène dans laquelle Zola décrit avec force détails la préméditation de son crime par Lantier. Et elle avait dû cacher le livre, tellement elle avait été impressionnée par cette lecture. Plus exactement, ce symptôme céda après l'évocation d'un récit familial selon lequel son père, pourtant sourd, l'aurait entendu tomber de la table à langer où sa mère l'avait oubliée. Ce qui est quand même frappant. C'est-à-dire qu'on retrouve là un autre mode du « caché de la perception », c'est-à-dire le pacte au-delà de la perception que réalise l'opération du Nom-du-Père. Il n'y a pas besoin, finalement, que le père mette sa prothèse auditive pour l'entendre. Il suffit d'être père, c'est-à-dire un père qui, quand même, prend soin de ses enfants.

Au fond, qu'est-ce qui s'est passé avec cette interprétation ? L'interprétation a débloqué, semble-t-il, cette articulation signifiante. Elle l'a sortie de cette position d'objet de jouissance pour la mère, d'objet de déchet, elle s'est entendue dire tout autre chose que ce qu'elle croyait répéter et avouer. Il s'est produit une sorte de substitution signifiante puisque, finalement, le cachet de la perception a laissé passer le caché de la perception. Elle s'est retrouvée divisée, elle n'était plus soumise, au fond, aux caprices de l'Autre à ce moment-là. Là où régnait la loi insensée de l'Autre s'est opéré, du fait de l'interprétation, un renversement et aussi une soustraction de jouissance, comme le dit bien le rêve. Elle a pris la merde et elle l'a posée là où il fallait : aux chiottes. De sous-entendue et oubliée qu'elle était, là où elle était jouie par l'Autre, eh bien elle émerge soudain comme sujet. Moi je trouve que sa formulation était sensationnelle. « On dit, et on entend tout autre chose, comme si j'étais passée de l'autre côté de la glace. »

Et alors elle m'a dit encore des phrases tout à fait étonnantes : « Avant, - c'est-à-dire avant ce tournant de l'analyse - les paroles s'enfonçaient en moi, elles ne résonnaient pas. » Avant, disait elle, lorsqu'elle entendait sa mère, eh bien « ses paroles rentraient dans mon corps sans qu'elles puissent en sortir. Maintenant, j'entends avec mes oreilles ». Il s'est donc établi à la place du S 1 isolé qui était, au fond, ce cachet de la perception, une articulation minimale, signifiante, S 1 -S 2 , et donc la production d'un sujet divisé. C'est à partir de là qu'elle a pu faire une analyse.

Alors, si je résume, on pourrait dire : il y a eu un eczéma dont je n'ai pas pu savoir de façon précise à quelle date et dans quelles circonstances il est apparu. Je n'ai pas fait une enquête policière pour ça, je dois dire je ne l'ai jamais su. Il y a eu la métaphore poétique du médecin qui l'a bouleversée, qui l'a mise sens dessus-dessous, qui l'a déstabilisée, qui l'a plongée dans l'émoi. Il y a eu la fin des entretiens préliminaires, mais quand même scandés par l'impossibilité de signer son chèque, son nom.Ça signait son caractère égaré. Il y a eu la séquence des acting-out, où finalement elle se présentait comme un objet-déchet, de rebut, etc. Il y a eu le « peut-il me perdre ? » qu'elle a mis en scène avec ses accidents, et puis il y a eu cette fameuse interprétation.

Alors, je me suis demandé, finalement, pourquoi elle a fait cet eczéma. Lacan nous dit que c'est par le biais de la jouissance spécifique qu'il y a dans sa fixation qu'il faut aborder le phénomène psychosomatique. Alors là, je me demandais.  « C'est par le biais. » Qu'est-ce que ça veut dire, ça, « par le biais » ? Et il dit qu'à ce moment-là, c'est là qu'il faut savoir « inventer l'inconscient ». Eh bien, ce qui m'a toujours frappé chez cette personne, et qui frappait d'ailleurs particulièrement les hommes et aussi bien les femmes dans la salle d'attente quand elle se trouvait avec elles ou eux, c'était la beauté de son regard. C'est une personne qui passerait inaperçue, mais qui a un regard extraordinaire. Violet, superbe ! Il s'agit donc de quelqu'un dont le regard ne passe pas inaperçu. Et elle le sait, d'ailleurs. Elle est pour ainsi dire hantée par le regard qu'elle suscite, et dont elle voudrait d'ailleurs se cacher. Mais elle-même est une voyeuse, d'une certaine façon. Elle m'a souvent dit qu'elle était « sourde à force de regarder ». Elle a des expressions tout à fait extraordinaires. Qu'elle faisait même corps, quelquefois, avec ce qu'elle regardait.

Et alors, je me suis demandé s'il ne fallait pas voir dans cet eczéma une sorte de défense hors symbolique, une espèce de variété de mimétisme. Tel que Roger Caillois en parle dans son livre Méduses et compagnie , parlant de « camouflage ». Je me suis demandé si, dans cet eczéma, il n'y avait pas une sorte de camouflage, pour passer inaperçue, d'une certaine façon. C'est quelque chose qui contourne la structure du langage, qui n'est pas une articulation signifiante. On peut se demander ce qui s'est passé. Parce qu'encore une fois, on ne procède que par analogie, il faut inventer un petit peu pour traiter ces sujets-là. Tout se passait comme si le corps propre, au fond, était devenu photosensible à l'aspiration fascinatoire de l'image de l'autre. On peut se demander si le phénomène psychosomatique n'était pas là comme pour faire écran à l'autre. En le fixant sur le corps comme une plaque sensible. C'est-à-dire comme un mode de défense, mais tout à fait élémentaire. C'est une sorte de réalisation de l'imaginaire au niveau du corps propre.

Alors, pour éviter toute confusion, rappelons que mon interprétation n'a pas porté directement sur le phénomène psychosomatique lui-même. Je n'ai pas fait une interprétation sur le phénomène psychosomatique lui-même, mais sur une parole rapportée de la mère : le cachet de la perception.

L'interprétation, comment a-t-elle fonctionné ? Eh bien, elle a eu une sorte de valeur de délitement, de dissociation de ce pavé de l'Autre qu'était le cachet de la perception. Elle a opéré une sorte de négativation de la jouissance obscène de la mère. Alors , je passe enfin sur bien des années d'analyse, mais s'il y a une chose qui revenait souvent après cette interprétation, c'était une phrase. C'est une phrase qui revenait comme un leitmotiv : « Comment peut-on être concerné autant par quelque chose qui ne vous concerne pas ? » disait-elle, à propos, précisément, du regard. Le regard est devenu chez elle une sorte d'obsession. Il faut dire qu'elle avait un goût assez marqué pour la peinture.

Il s'est trouvé qu'elle est allée voir un film de Carlos Saura qui s'appelle Les yeux bandés . Elle a été frappée par un tableau. C'est idiot, mais je ne me rappelle plus du nom de ce peintre moi-même. Mais enfin, c'est un peintre qui a la particularité de peindre des femmes, nues, vues de dos. On ne sait pas ce qu'elles regardent.Elle a été particulièrement fascinée par ce genre de tableaux, parce qu'au fond c'était quelque chose qui se présentait comme une énigme. Pourquoi ce peintre peint-il ces femmes ? Qu'est-ce qu'il peint ? Ce qui véritablement constitue une énigme pour elle, ce n'est rien d'autre que le désir de l'Autre : Qu'est-ce qui est là ? Qu'est-ce que ces femmes voient ? Qu'est-ce qu'elles cherchent ? Qu'est-ce qu'un peintre cherche, qu'est-ce qu'il veut montrer, comme ça, alors qu'il n'y a rien de montrable ? Qu'est-ce que ces femmes regardent ? C'était une question littéralement obsédante. Elle avait vu ce tableau, eh bien, justement, je crois qu'elle est allée le voir à Ottawa. Elle a fait le voyage, elle n'avait vraiment pas beaucoup d'argent. Elle a économisé pour aller voir ce tableau, dont elle avait la reproduction.

Là, elle m'a dit : « Au fond, cette femme. Ce peintre, pourquoi peint-il ça, ces femmes vues de dos ? Eh bien, me dit-elle, je crois que j'ai compris pourquoi, ce qu'il cherche à peindre. Il cherche à montrer ce qui n'est pas montrable. C'est-à-dire un rien, soit le moment, l'entre-deux, le mouvement, là où ça change. » Alors, moi je trouve qu'il y a eu véritablement un changement chez cette femme, qui était pétrifiée sous le regard de l'autre. Et là, ce rien, ce petit rien. Ceux qui sont un petit peu informés de la psychanalyse savent que ça porte un nom. C'est à la limite de ce qui peut se dire, de ce qui peut se voir, de ce qui peut s'entendre, ça porte un nom, c'est quelque chose qui, finalement, a trait à la pulsion, à l'objet de la pulsion. Ce n'est rien d'autre que le fameux objet a .

Elle a également été tout à fait intriguée par un tableau qui s'appelle Les tricheurs de De La Tour, où, disait-elle, les mains démentent ce qui est donné à voir. C'est-à-dire que, apparemment, tout semble se passer tranquillement, et il y a tout un jeu comme ça, de tricherie. Ensuite, elle avait quand même fait un sacré travail, et elle me parle d'arrêter. Mais voilà qu'elle tombe enceinte. Elle était assez angoissée par la perspective d'avoir à donne la vie à quelqu'un, à un enfant. Et puis, finalement, l'accouchement s'est bien passé. Elle a repris cette analyse, et véritablement avec une obstination extraordinaire, en me disant : « Je veux autre chose que de m'abîmer dans un mot qui me contiendrait ». C'est-à-dire, ce souci, comme ça, de se défaire, précisément, de cette tendance, peut-être, à la pétrification. « Je veux autre chose que de m'abîmer dans un mot qui me contiendrait, quelque chose à faire passer en vitesse », disait-elle. C'est à ce moment-là qu'elle a évoqué un fantasme, qu'elle prononce avec une phrase qui vraiment l'horrifie : « Ma mère se repaît de moi, et me donne des coups pour me tuer. »

Alors là, quand même, il me semblait qu'elle avait fait de nouveau un pas de plus. Elle parle d'ailleurs d'interrompre sa cure, elle se sentait tout à fait bien. Mais voilà que je suis obligé de m'absenter, parce que je tombe malade. Eh bien, à mon absence va répondre alors un urticaire géant, mais de coutre durée. L'urticaire, ce n'est pas la même chose qu'un eczéma, hein. Et les séances reprennent, mais cette fois elle me dit : « Ah non, là, je ne suis pas dupe. C'est une tromperie. » On peut dire que le phénomène prend alors valeur de symptôme. Et l'urticaire, d'ailleurs, disparaît et l'eczéma ne réapparaît pas.

Et actuellement, Odile - je l'ai appelée Odile, en pensant à « croque-Odile » - Odile, donc, aborde son identification à son père, ce qui la lie à ce trait que représente sa surdité. Sa surdité qui l'amenait toujours, elle-même, à répondre à côté. Elle me dit avoir imité l'écriture anguleuse de son père quand elle était petite. Parce qu'elle partageait comme lui son goût pour la graphie d'un peintre, il s'appelait Bernard Buchet. Ce type de trait la fascinait. Et comme elle me dit maintenant : « Je ne veux plus d'un tel retrait ». Elle sait maintenant jouer avec les mots. En somme, il lui faut se passer du père à condition de s'en servir, comme chacun d'entre nous. Et elle résume sa position actuelle : « Je ne veux plus être un tracé. » dit-elle. Ça je trouve que c'est formidable : « Je ne veux plus être un tracé, comme un tracé d'électrocardiogramme. J'ai à vous parler d'un au-delà en laissant quelque chose, mais en ne me laissant pas aller. »

Et vous savez comment Lacan parle du phénomène psychosomatique, comment il le caractérise. Il dit : « Dans le phénomène psychosomatique, le corps se laisse aller à écrire quelque chose du nombre. » Ça vient en écho à ce qu'il disait à propos de la complaisance somatique de l'hystérie. Justement, l'hystérique ne se laisse pas aller. Il y a un refus du corps chez l'hystérique, une dérobade. Eh bien, on peut dire que dans le phénomène psychosomatique, c'est là qu'il y a véritablement une complaisance somatique, contrairement à ce qu'on pourrait penser. Mais c'est une complaisance, c'est-à-dire que c'est un esclavage, un assujettissement du corps à un signifiant qui souvent, effectivement, émane de la jouissance d'un proche.

Alors, qu'est-ce que je pourrais dire, finalement, pour conclure cette affaire ? Quand Lacan nous dit : « La psychosomatique c'est quelque chose qui n'est pas un signifiant », comment faut-il l'entendre ? C'est vrai que ces gens, pour peu qu'on se donne la peine de les écouter, parlent remarquablement bien. Je suis tout à fait opposé à tout ce qu'on raconte sur la pensée opératoire, sur l'inaffectivité de ces gens-là. Il faut prendre la peine, il faut savoir les attraper par le bon bout. Il faut savoir entendre ce qu'ils ont à dire. Du fait qu'ils sont assujettis comme ça au petit autre, évidemment ils sont un peu obnubilés. Mais si on prend la peine de les écouter, on entend tout autre chose. Mais il ne s'agit pas de redoubler une objectivation. C'est terrible, quand même, de penser qu'on puisse aborder ces gens-là avec des préjugés tels qu'on vienne redoubler au fond leur aliénation imaginaire.

Il s'agit donc de ne pas redoubler une objectivation, mais de changer une réponse muette, parce que le phénomène psychosomatique est quand même une réponse muette, ou unidirectionnelle en tout cas.Eh bien, il s'agit de changer cette réponse en une question articulée. Et c'est ce qu'elle fait très bien : « Comment peut-on autant être concerné par quelque chose qui ne vous concerne pas », etc. Et cela, afin de produire la variable qu'est le sujet. Pour qu'il puisse prendre place, dans la vie, et qu'il puisse prendre corps autrement que par la maladie. Voilà ce que j'avais à vous dire.

Alors, je dis tout de suite que je n'ai développé qu'un point. Dans l'exemple clinique que je vous ai donné, c'est simplement un phénomène psychosomatique chez un sujet qui n'est pas psychotique. Bien sûr. j'ai simplement voulu démontrer que l'acte psychanalytique était possible avec de tels sujets, contrairement aux idées reçues. Encore une fois, c'est quand même un domaine encore inexploré. Il y a beaucoup de travail à faire là-dessus.

Pierre Lafrenière  : J'avais une question par rapport au statut du sujet. Donc au statut du sujet en lien avec le phénomène psychosomatique dans le cas que vous nous avez présenté. C'est-à-dire, l'impression que j'en ai, c'est que, pendant tout un temps, le sujet vient parler, rendre compte de sa pétrification. Et finalement, il arrive à en sortir à un moment donné, donc en analyse. Et même, en arrivant à dialectiser un peu les choses, jusqu'à la fin, c'est quand même de ces difficultés-là dont il témoigne. C'est-à-dire, cette peur de la pétrification. Et du coup, la question que j'avais, c'était la question du statut du sujet, entre le sujet qui est pétrifié..

A. Merlet : .fasciné.

Pierre Lafrenière  : Moi je pensais pétrifié du fait de son rapport au phénomène psychosomatique, c'est-à-dire, il était « pétrifié » par le cachet de sa perception. Et puis du coup, vous nous avez dit que ce n'était pas un sujet qui était psychotique, donc à la fois, aussi, on peut dire, divisé par le signifiant. Comment rendre compte de ces deux statuts du sujet ?

A. M. : C'est-à-dire que cette personne parle très bien. Elle a le don pour parler. Je crois que c'est d'ailleurs la psychanalyse qui lui a permis d'exprimer ce don. Ce qu'elle me dit souvent - parce que je continue à la voir -, elle me dit qu'il lui arrive d'être à côté, d'être absente à elle-même. Mais c'est tout à fait compréhensible. Effectivement, s'il y a un blocage de l'articulation signifiante, eh bien le sujet, vous ne pouvez pas le repérer. Mais je dirais qu'il est dans une parenthèse vide. Il est là, il est quand-même là, parce que, par exemple, elle a pu me dire que - ça c'était très récemment - elle a pu me dire que, que lorsqu'elle venait me voir en début de sa cure, à un moment donné, il y a une personne qui a ouvert la porte et qui est venue chercher quelqu'un qui l'attendait dans la salle d'attente. Il arrive quelquefois qu'il y ait des personnes qui se fassent accompagner. Maintenant je le supporte assez mal en tant qu'analyste. Je n'aime pas beaucoup ce genre de camaraderie poussée jusqu'à la salle d'attente. Mais en tout cas, il y avait quelqu'un qui état là. Donc, la personne qui sortait de chez moi, qui venait d'avoir sa séance, a ouvert la porte de la salle d'attente, elle est venue chercher sa copine. Et tout d'un coup elle a eu un moment de vacillation. Elle s'est demandé : « Mais alors, il s'est fait remplacer ?, etc. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? » C'est-à-dire qu'il lui a fallu un temps pour réaliser que ce n'était pas pensable, qu'évidemment, si j'avais dû me faire remplacer, je l'aurais prévenue, etc. C'est-à-dire qu'elle était quand même égarée. C'est vrai qu'il y a un défaut d'articulation signifiante, mais en même temps, ces sujets-là sont fascinés. Elle était fascinée par le regard. C'est quelqu'un qui était fascinée par son propre regard. Alors le statut du sujet, il est un peu. je dirais il est plutôt flottant, incertain. Si on admet que le sujet est lié à la représentation signifiante. il y a aussi un blocage de l'articulation signifiante. Mais non, il n'en demeure pas moins que ce sujet est là. On a tendance à dire : ou il est là, ou il n'est pas là. Mais moi, je crois qu'il est à côté. Il est quand même là. Elle parle de ça en disant : « J'étais dans le coma. C'est un lieu-dit. Il y avait une sorte de black-out de moi-même. » Elle a toutes sortes d'expressions. Non, mais elle était quand même tout à fait présente. Et à un moment donné, elle était dans le on , mais elle passe dans le je . Elle dit : « On dit, on entend tout autre chose, c'est comme si j'étais passée derrière la glace. »

Quand Lacan dit « l'induction signifiante a eu lieu, s'est imposée, sur le corps, sans provoquer de division subjective, néanmoins le chaînon-désir est conservé », cela a quand même quelque chose à voir avec le sujet. C'est difficile à concevoir, d'une certaine façon. Mais je crois que, quand on attrape les sujets, justement, par le biais de la fixation de la jouissance, on a toutes chances de les décoller de cette position. C'est un sujet ahuri, je dirais, égaré. C'est difficile à qualifier.

Il n'en demeure pas moins qu'elle a fait un travail tout à fait remarquable. Maintenant, elle assiste d'ailleurs à nos séminaires, elle travaille en cartel, etc. Sa vie a complètement changé. J'avais présenté ce cas en disant : changement d'écriture. Elle n'a plus besoin de ce phénomène psychosomatique pour se soutenir dans l'existence. Enfin, ça ne la soutenait pas, c'est vraiment quelque chose dont elle pouvait parfaitement se passer. Mais il n'en demeure pas moins qu'elle a quand même un rapport au scopique tout à fait particulier. Elle est passionnée par ça, elle écrit là-dessus. Elle présentait même des cas de sa pratique. De secrétaire, elle est devenue éducatrice. Mais elle a une écoute sensationnelle des gens, c'est très remarquable. Elle est très fine.

Alors, le statut du sujet, il est à côté, je ne peux rien dire d'autre. C'est difficile. À mon avis il est là, parce que pour produire toutes ce phrases, pour arriver à parler comme ça. Quand même, ce n'est pas un robot qui me parle. Par exemple, l'école de Marty, suivant d'ailleurs des travaux d'américains, présente le sujet psychosomatique comme un véritable robot. Non, pas du tout.

Fabienne Espaignol : Est-ce que je peux vous poser une question par rapport à cette femme ? Moi, une des choses qui m'ont frappée, c'est le rêve dont vous avez parlé. Le premier rêve. Je me disais que pour une personne qui est sidérée, je suis frappée par l'écart qu'il y a entre la force d'évocation du rêve, et puis l'état conscient dans lequel elle était. Je ne sais pas si vous diriez que c'est propre à elle, ou si c'est propre aussi à des personnes qui ont un imaginaire très fort, qui peut aussi bien s'inscrire dans le corps que dans les rêves que.

A.M. : Oui, chez elle prédomine effectivement la dimension imaginaire. Mais le « sidéré » c'était. J'ai utilisé ce terme après l'interprétation. C'est d'ailleurs son propre terme. Elle était « ahurie », a-t-elle dit plus exactement. Moi, j'ai qualifié ça de « sidération », parce qu'elle n'a pas répondu à cette interprétation. Dans la séance, il y a eu un long silence, alors qu'elle parlait, que son débit était celui d'un flot verbal ; là, elle s'est tue. Alors ce rêve, effectivement, je crois qu'il est survenu parce que j'ai maintenu le cap, d'une certaine façon malgré toutes ses absences, et après qu'elle m'ait dit  « je vous déteste à cause du vide que vous créez ». Il y a quelque chose, elle était vraiment affectée. Sur le moment, je me demandais si elle se rendait même compte à qui elle parlait. Elle était vraiment à côté, tout à fait. Mais je crois que dans cette phrase, il y a quelque chose du transfert qui s'est manifesté. Alors pourquoi a-t-elle fait ce rêve à ce moment-là plutôt qu'à un autre ? C'est extrêmement difficile. Vous savez, l'analyse, il y a une détermination langagière, mais c'est fait aussi de contingences. Ça se termine souvent comme ça, d'ailleurs, une analyse. Mais pour elle, c'est la contingence qui a voulu qu'elle commence cette analyse. Je crois que c'est peut-être parce que j'ai supporté l'insupportable. J'aurais pu, après tout, lui donner, qui sait, peut-être un neuroleptique. Au point où elle en était, j'étais quand même inquiet ! Je veux dire. Encore une fois, j'étais sacrément culotté pour l'allonger alors qu'elle avait été incapable de signer son chèque. J'ai pris le pari, parce que j'avais l'expérience des phénomènes psychosomatiques, j'avais fait une thèse là-dessus, j'avais travaillé pendant six ans dans des antennes. Là, j'entendais quelque chose que j'avais déjà entendu, de l'impersonnaison. je me suis risqué.

Annick Passelande  : Vous avez dit à ce moment-là : je me suis constitué comme un complément de son symptôme. Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?

A. Merlet : Oui. Vous savez, c'est ce qu'on fait quand on est analyste. C'est-à-dire quelqu'un vient vous voir, il présente quelque chose qui lui est opaque, comme ça, d'une certaine façon. Il ne sait pas ce qu'il veut dire. Ne serait-ce que le fait de laisser dire, comme ça, il va se constituer, d'une certaine façon, comme le complément. Si l'analyste n'était pas le complément du symptôme, on ne pourrait pas imaginer une fin d'analyse. Je me suis constitué comme complément du symptôme au sens où je ne sais pas exactement la place que j'occupais. Je n'occupais certainement pas la place, fort heureusement d'ailleurs, de la mère ; je ne crois pas, puisque j'étais là, peut-être comme une sorte d'ensemble vide, qui venait la complémenter, d'une certaine manière. J'étais là comme ce qui venait faire trou dans son discours, comme ce qui venait faire discontinuité mais, en ce sens, je la complémentais.

Je crois que le symptôme, il ne se constitue que du fait, comment dirais-je, d'une. Il faut bien, quand même, qu'il y ait un lieu d'adresse. Elle était complètement perdue, égarée ; moi, j'étais là comme un sorte de havre, certainement, pour elle, mais aussi, à mon avis, j'étais comme un lieu de dépôt de ce qu'elle disait. J'étais quand même un garant, elle pouvait me raconter toutes les bêtises qu'elle voulait me raconter, elle pouvait me raconter tous les incidents, etc. Mais j'étais toujours là. Je crois que, d'une certaine façon, oui, je lui permettais de constituer un symptôme. Je crois que c'est toujours comme ça, en analyse. Il n'y a pas de symptôme sans que l'analyste ne le complémente. Le symptôme, d'ailleurs, ça s'est aggravé au début . Le plus souvent, en analyse, quand un analysant vient me présenter un symptôme, ça ne s'arrange pas, au départ. Ça s'aggrave, ça inquiète l'entourage, ça ne va pas du tout. Bon, et c'est ce qui s'est produit. Ça allait de plus en plus mal. Mais j'étais là, toujours. D'une certaine manière, j'ai fait en sorte que ça passe à la dimension de symptôme ; tous ces comportements, pour moi, je les faisais passer au registre du symptôme. Bien sûr, ce n'était pas articulé, mais je les prenais comme si c'étaient des symptômes. J'étais là pour assurer à cela une dimension signifiante, d'une certaine façon. Je n'allais pas lui dire : « À partir de maintenant, vous n'allez plus rouler en voiture, à partir de maintenant, je vais vous donner des tranquillisants, à partir de maintenant, je vais téléphone à votre médecin ». Non, j'étais toujours là pour elle. Je pense que c'est ce côté-là que j'assurais, mais pas plus, évidemment, parce que moi-même, j'étais un peu inquiet.

Mais il faut bien qu'il y ait une intersection entre l'objet, enfin le semblant de l'objet qu'est l'analyste, et le dire du psychanalysant pour que le symptôme. enfin, pour qu'il y ait un embrayage du signifiant sur le corps. Dans une analyse, vous savez, il est fortement question du corps. Il faut que ça prenne corps, une analyse, c'est comme un mayonnaise. Vous pouvez avoir tous les ingrédients d'une mayonnaise, et puis ça ne monte pas, ça ne prend pas. Il faut quand même qu'il y ait quelqu'un qui tourne la cuillère pour que ça prenne. Et là, je dois dire que ça a pris, mais ça aurait pu ne pas prendre.

André Jacques  : J'ai un commentaire, une question. Vous avez mentionné, peut-être trois fois, que son père était sourd. C'est quand-même intéressant, parce que vous, vous l'avez écoutée, vous l'entendiez, et puis, j'imagine que - vous n'avez pas élaboré là-dessus - mais j'imagine que ça a dû contribuer à établir cet espace qui s'est constitué entre vous et elle, en tout cas je l'imagine. Mais la question que j'ai, c'est. Je ne sais pas si c'est une question véritablement. Est-ce que vous pensez vraiment que, moyennant la patience, moyennant l'endurance, même, en fait, on puisse amener une personne aux prises avec des problèmes psychosomatiques bien installés, à une sorte d'éclosion comme celle qui est arrivée avec votre patiente, avec votre analysante ? Elle a éclos, en quelque sorte, et votre langage à son propos est presque poétique, en fait. Vous avez comme de l'admiration pour sa capacité de parler, sa capacité d'élaborer, et de poétiser presque tout ce qu'elle vit. Est-ce que vous pensez que ce n'est rien qu'une question de patience, ou bien si peut-être cette patiente-là avait quand même un peu de talent au départ pour aboutir à ce que vous nous décrivez maintenant ?

A. M.  : Oui, oui. Vous savez, il y a des cas particuliers. Mais quand Lacan dit que « avec ces sujets-là il faut savoir inventer l'inconscient », je pense qu'il faut en effet que l'analyste, d'une certaine façon, procure du talent à ses analysants. Mais d'une façon générale, je pense que c'est la fonction de l'analyste de donner un peu de génie à ses analysants. S'il n'en est pas capable, s'il n'est là que comme une sorte de soliveau, comme ça. C'est le désir de l'analyste qui est mis en jeu. Vous savez, le désir de l'analyste, c'est ça, c'est à la fois un lieu, et c'est aussi quelqu'un qui cherche la différence absolue, comme dit Lacan. Il y a toutes sortes de définitions qu'il donne en ce qui concerne le désir de l'analyste. Ce n'est pas le désir d' un analyste, c'est le désir de l 'analyste. Je crois que là, il est sollicité particulièrement par des gens qui ont des phénomènes psychosomatiques. Dans les présentations de malades, c'est évident ! On arrive à des événements de discours tout à fait remarquables.

Vous savez, j'ai fait des présentations de malades pendant huit ans, dans des services de dermatologie. Comme ces malades revenaient assez souvent dans le service, pour eux il y avait ceux qui avaient été à la présentation, et ceux qui n'y avaient pas été. Et pour ceux qui y avaient été, c'était presque un titre de noblesse. Ils étaient enviés par les autres. Et vraiment, il y avait là quelque chose qui, le plus souvent, faisait événement dans leur existence.

Ceci s'explique assez aisément. Ce n'est pas parce que j'ai un talent particulier. C'est simplement lié au fait que ces gens-là, finalement - dans certains cas - ont un blocage de l'articulation signifiante. Pour une raison « x ». Ce peut être lié à ce qui s'est passé, par exemple, pour ma patiente : être l'objet de la jouissance obscène d'un proche, ou bien ce peut être lié, effectivement, à une structure psychotique, où véritablement le corps se connecte à la maladie d'une façon particulière.

Si vous touchez, si vous débloquez une articulation signifiante, ou bien si vous privilégiez ce blason, ou cette sorte de carte de visite, vous touchez à quelque chose qui permet à un sujet de parler d'une autre manière. Ces sujets-là, quand ils vont dans un service, encore une fois, ils sont là, ils ont une maladie, ils veulent être traités, ils ne demandent pas autre chose, au départ. Ils sont pris dans le discours médical qui veut que ça marche, etc. Nous nous intéressons justement à ce qui n'a pas marché. à ce qui a cloché. Alors que finalement, le propre du psychosomatique, c'est en quelque sorte de répondre à la cloche. Tout d'un coup, c'est une sorte de renversement que l'on provoque. d'où un effet poétique, souvent. Il y a un moment de renversement. J'en vois pas mal, évidemment, comme j'ai fait pas mal de travaux là-dessus. Il y a des gens qui viennent, même de loin, pour entreprendre un traitement. Je peux vous dire que ce cas est paradigmatique, mais j'ai bien d'autres cas, je pense d'ailleurs que dans le séminaire j'en ferai état. Ça n'a rien d'extraordinaire, c'est lié au fait qu'on débloque une articulation signifiante, ou bien on privilégie quelque chose qui permet à quelqu'un de vivre. J'ai d'autres exemples, à la fois d'analyses ou de présentations de malades, qui sont tout aussi parlants. C'est vrai que cette personne a peut-être, en effet, un bonheur d'expression qui est assez remarquable, mais bon. Ce n'est pas arrivé à n'importe quel moment, je crois l'avoir démontré, dans le cours de sa cure. En effet, c'est un bien-dire qui touche au beau-dire . Hein, c'est vrai, d'une certaine manière. Il lui faut le beau, comme ça, pour exister, peut-être. C'est un bien beau-dire !

Fabienne Espaignol : Le médecin l'avait tellement touchée avec cette expression. Elle était déjà là.

A.M. : Oui, pour répondre à Pierre Lafrenière  : elle était déjà là. Elle existait bien sûr en tant que sujet, mais entre parenthèses. Elle était « dans les oubliettes », elle me l'a dit une fois, elle était égarée. Il y a certaines femmes aussi qui n'ont pas de phénomènes psychosomatiques et qui sont particulièrement égarées. Lacan disait que c'est une marque de la féminité.

Mais elle, elle était égarée peut-être par. Évidemment, elle était dans une famille assez spéciale, assez particulière. Je dois dire, je n'ai pas donné toutes les coordonnées familiales. Mais enfin, par exemple, son père était polonais, il n'a jamais voulu parler d'où il venait, pourquoi il était venu en France. Sa mère était espagnole, elle avait fui le franquisme, là aussi on ne sait pas très bien qu'est-ce qui s'est passé. Maintenant elle commence à m'en parler. Il y a eu dans la famille des gens qui étaient franquistes, qui ont été fusillés. Des gens qui n'étaient pas franquistes qui, au contraire, étaient républicains et communistes, et qui ont été fusillés. Vous voyez, c'est assez compliqué, sa famille. Et sa mère, régulièrement d'ailleurs, se faisait conduire à la frontière, du temps de Franco, et elle regardait, elle regardait l'Espagne sans rien dire ; la famille attendait, pendant une heure, et on repartait. C'est une famille spéciale, particulière ! Mais vous savez, nous avons tous des familles spéciales et particulières.

Marco Lapierre  : Moi, je pense à plusieurs exemples. Par exemple une personne qui, suite à une perte d'un emploi, quelque chose de tragique qui arrive. Par exemple, il découvre une lettre chez sa mère décédée, qui dit qu'il était accepté dans l'aviation, et il découvre cette lettre-là 50 ans plus tard, il n'a jamais eu la lettre. Une autre personne, par exemple, que son mari trompe pendant plusieurs années, quand elle s'en rend compte, elle développe un cancer. Bon, plein d'exemples comme ça. Est-ce qu'on peut en dire quelque chose ?

A. Merlet : Oui, alors là, ça, c'est quelque chose que j'aurais pu développer, mais là aujourd'hui, on m'a demandé d'être succinct. Ce S 1 peut prendre aussi bien la valeur d'un secret de famille, par exemple. Là aussi, il n'y a pas d'articulation signifiante, dans le secret. C'est quelque chose qui est là, qui pèse sur une famille, par exemple, et qui, une fois révélé, peut produire des dégâts. Ça, j'ai un exemple dont je parlerai peut-être, d'ailleurs, qui est tout à fait démonstratif. Mais c'est toujours ce pavé de l'Autre. De ce côté-là, effectivement, c'est souvent une lettre qui était là, mais ce n'était pas une lettre en souffrance. C'était une lettre qui était cachée, dissimulée, qui néanmoins pesait, comme ça, pour une famille.

Alors, la question que vous me posez là, ça c'est le premier élément. Pour le cancer, alors là, c'est quelque chose, c'est vrai que. Je dois dire que, assez longtemps, je refusais de répondre à cette question. Parce que le cancer, c'est évident que bon, c'est quelque chose qui vous tombe dessus, comme toutes sortes de fatalités. Il y a deux choses. Il peut se faire que, par exemple, des gens, du fait d'une situation comme cela, d'une existence particulièrement malheureuse, puissent être atteints d'une maladie, comme tout un chacun d'entre nous, et d'un cancer, pourquoi pas ? Mais à ce moment-là, il peut se faire aussi que ces personnes-là ne veuillent rien savoir de ce qui est en train de se passer, qui est comme ça une sorte de. Freud parlait très bien de cette chose-là. d'une sorte de connivence, comme ça, avec la maladie ; ils entretiennent une connivence secrète avec la maladie. Ils ne veulent rien savoir, mais en même temps il y a quelque chose qui résonne avec leur malheur de vivre. Et au fond, ils ne font rien pour s'occuper de leur maladie, des premiers signes de la maladie. Si bien que, quand le cancer est déclaré, il est déjà bien avancé. Ça, c'est une chose.

Mais il y a d'autres sujets, on peut se demander, quand même. alors attention, je le dis avec beaucoup de prudence. tout se passe comme s'il y avait une sorte de programmation de la maladie. Enfin , j'ai l'exemple d'une personne qui vient me voir, dont j'ai parlé récemment. C'est une personne qui est venue me voir parce que. C'est une professeur de philosophie. Elle est venue me voir parce que son mari l'avait quittée, elle avait décidé de se pendre. Elle se présentait, je dois dire, comme une mélancolique. Elle est musicienne, elle avait présenté une surdité d'une oreille. Je ne me souviens plus à quoi ça correspond exactement, mais on lui avait conseillé de se mettre dans un caisson. Et elle avait dit que, là, elle avait eu l'impression.Vous savez ? C'est un caisson comme pour les gens qui remontent à la surface, on appelle ça « hyperbare ». C'est le traitement d'une affection de l'oreille, alors je ne sais plus exactement, je n'ai pas fait d'oto-rhino-laryngologie, c'est une faille dans mes études. En tout cas, pour elle, pour une musicienne, c'était particulièrement terrible, ce qui lui arrivait. Elle avait accepté de se mettre dans un caisson, ce qui n'avait pas tellement arrangé les choses. Et donc, son mari fichant le camp, ne pouvant plus jouer de l'orgue, du piano etc., elle avait décidé de mettre fin à ses jours. Et puis quand même, l'O.R.L. qui me connaissait, lui, même si je ne connaissais pas l'O.R.L., lui avait dit qu'elle pouvait quand même venir me parler de son problème auditif.

Bon, alors elle est venue me voir. Et puis elle était particulièrement déprimée ; là, j'ai pensé à une structure psychotique. Je crois d'ailleurs qu'elle est psychotique. Mais elle m'a raconté une histoire invraisemblable. Elle était née après la mort d'un enfant. bon, c'est assez banal, sa mère avait perdu un enfant. Elle portait le même nom que sa s œur, la mère allait tous les jours au cimetière, avec sa fille, sur la tombe de la petite. Elle avait été élevée par une nourrice, parce que la mère travaillait, elle était ouvrière. Elle était élevée par une nourrice qui s'appelait Madame Cimetière, ça ne s'invente pas ! Elle n'a pas cessé de me raconter des histoires de ce genre, comme ça, mais à tel point qu'elle en riait, elle en riait vraiment. Puis le hasard a voulu qu'elle rencontre une chinoise qui faisait ses études à Bordeaux, elle s'est mise à apprendre le chinois, elle allait beaucoup mieux, d'ailleurs, et elle a décidé de faire un voyage en Chine. Et elle est tombée dans une famille chinoise, la famille, donc de son amie, et ils l'appelaient «  la Grave », signifiant qu'elle était grave, qu'elle était sérieuse. Elle est revenue, et, malheureusement, avec un cancer de la peau, un mélanome.

Là, je me suis quand même posé des questions, d'autant plus que j'avais déjà parlé d'un cas, de quelqu'un qui était venu me voir après avoir mimé la mort de son père lors d'une soirée. Lui aussi, c'était un philosophe également, etc. Malheureux philosophe, il avait mimé la mort de son père, d'ailleurs avec d'autres grands philosophes français. Il avait été affolé par ce qu'il faisait, il avait pris du cannabis. Paniqué, il était rentré chez lui, il avait failli avoir un accident, il était dans un véritable état de transe obsessionnelle. Arrivé dans mon cabinet, il m'avait raconté toutes sortes d'histoires, qu'il s'amusait à prendre l'identité d'un oncle qui était mort. Que son oncle était mort d'un cancer de la vessie et que, s'il y avait quelque chose qu'il craignait, c'était bien de mourir d'un cancer de la vessie. C 'était la première séance, et il m'avait cité une parole de son père, il me dit : « Tu sais, lorsqu'on passe au tamis sa vie, il ne reste pas grand-chose. » Le père était maçon. Il me dit. mais c'est idiot, ça me fait penser à je ne sais plus quelle phrase là, s'il y a des gens qui ont fait de la philosophie ici, je crois que c'est la traite d'un bouc, je crois que c'est Kant qui en parle. Il me dit : « Je sais très bien que la vessie n'est pas un tamis, mais j'ai aussi tout de suite pensé à la vessie, quand mon père me parlait de ça. » C'était un grand obsessionnel, donc il s'était occupé de toutes les dettes du père, de toutes les histoires, bon.

Alors où je veux en venir ? Rapidement. Neuf ans après, ce type déclenche un cancer de la vessie. Or , qu'est-ce qui s'était passé entre temps ? Il s'était passé, entre temps, quelque chose de très particulier qu'il a fini quand même par m'avouer, et qu'il avait passé sous silence. C'est-à-dire que, quand il était enfant, il redoutait d'être pris pour une « pisseuse », comme il disait. C'est comme ça que son père désignait les petites filles. Et il se cachait quand il voyait une petite fille, tellement il en avait peur. Ensuite, à l'âge de douze ans, alors qu'il avait une tuberculose des vertèbres cervicales et qu'il se trouvait dans le lit de sa mère, en l'absence du père, qui était entrepreneur, il a eu sa première éjaculation. Et là, il est sorti de là, affolé. Il est sorti du lit précipitamment, alors qu'il avait encore la nuque raide, etc. Et il s'était juré, comme il disait, d'échapper à toute « affectivité dégoulinante ». Il avait cru, d'ailleurs, pisser du sang lors de cette première éjaculation et, comme ça peut arriver à n'importe qui, il s'était demandé ce qui lui arrivait. Seulement, dans le lit d'une mère, il était véritablement un incube là, c'était un incube incestueux. Désormais, il s'était voué à faire des études, il avait fait normale sup., etc., ce qui, en France, est quand même le nec plus ultra des études. Bon, mais c'était un véritable dandy, se gardant de toute « affectivité dégoulinante », il avait cloisonné son corps de façon parfaitement obsessionnelle. C'est-à-dire : avec la main gauche il pouvait se torcher, il pouvait satisfaire ses besoins, se masturber, etc. Et avec la droite, il pouvait écrire, il pouvait peindre, il pouvait parler quand il faisait ses cours à la faculté, etc.

Et je dois dire, qu'il lui soit arrivé un cancer de la vessie, évidemment, là aussi, il y avait quand même une petite connivence avec la mort parce que. Qu'est-ce qui s'est passé dans son cas ? Évidemment, il y avait cette honte concernant une partie de son corps, mais tout de même, il s'était mis à pisser du sang, il me l'avait signalé à un moment donné. Moi j'avais dressé l'oreille, je me souvenais quand même de la première séance. Je l'avais obligé à aller voir un médecin, il ne voulait pas y aller. Il est allé voir le plus grand spécialiste de Bordeaux sur la question, qui lui a dit : « Mon cher, ce n'est rien du tout, c'est une néphrite hématurique récidivante ». À l'époque, on ne disposait pas des scanners, etc., ça se passait dans les années 70. Je sais - c'est sa femme qui me l'a rapporté après coup - qu'il dissimulait tous ses slips tachés de sang, il ne voulait rien savoir de sa maladie. Mais je pense qu'il ne voulait rien savoir de son corps. Ne pas être une « pisseuse », ne pas pisser dans le lit de la mère. Il y avait là quelque chose qui le touchait au plus haut point. Alors, est-ce que c'est un phénomène psychosomatique, on peut en discuter.

Mais tout se passe comme s'il y avait une espèce de surdétermination chez ce sujet. Une espèce de pathologie du destin. Comme chez cette patiente dont je vous ai parlé. Je me pose des questions. Je peux le faire parce qu'on est au Québec, on est loin, on est à des milliers de kilomètres de la France, mais on m'interrogerait. Je me permets de vous répondre parce qu'on est très loin. Vous voyez, et là, bon.Ce type, d'ailleurs, est mort en 1983. Donc, ça fait quand même pas mal d'années. J'ai exposé ce cas, d'ailleurs, vous pouvez le trouver dans la Revue de l'École de la Cause Freudienne , je l'ai intitulé La mort comme acte manqué . C'est vrai que ce sont des questions qui me tracassent, comme ça.

Et j'ai beau le savoir, quand cette patiente m'a dit qu'elle avait un mélanome, etc., je me suis dit « Merde ! Il y a quelque chose que je n'ai peut-être pas entendu. Qu'est-ce qui s'est passé ? Cette patiente va mieux, elle ne s'est pas suicidée, elle ne s'est pas pendue, et puis voilà-t-il pas qu'elle se ramasse une maladie quasiment. » Enfin peut-être a-t-elle été prise à temps , parce que, dès qu'elle m'a dit qu'elle avait un bouton un peu particulier, je lui ai dit : « Faites voir ! » Hein, je n'ai pas traîné, parce que je suis dermatologue, donc je l'ai adressée tout de suite, on a fait un curage, etc. Mais qu'est-ce qui va se passer ? Je me le demande. Alors, je me suis dit que, peut-être, si elle n'était pas venue, peut-être n'aurait-elle pas développé cette. je n'en sais rien. C'est une question qu'on se pose.

Vous savez, quand Freud dit : « Si je ne peux pas fléchir les Dieux, je remuerai les enfers ». c'est vrai que nous remuons les enfers dans notre pratique. Qu'est-ce qui se passe, là, chez certains sujets ? C'est une question. Et c'est vrai que c'est quand même très étonnant, la manière dont elle me parlait de son obsession de la mort, à tel point que je pensais qu'elle était mélancolique. Elle avait beaucoup de gens de sa famille qui s'étaient suicidés, etc. C'est vraiment un destin tragique dans sa famille. Ah oui, j'ai oublié, elle était née, quand même, pas dans une morgue, mais c'était pratiquement ça, c'est-à-dire que c'était une pièce où on entreposait des cercueils. Bon, parce que dans la famille, on fabriquait des cercueils. Bon, il y a aussi cette histoire de caisson, il y a quand même toute une.Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Est-ce qu'il aurait fallu lui dire d'aller voir son médecin tous les jours, en même temps qu'elle venait me voir ? Je ne sais pas. Et c'est vrai que, en ce qui concerne le cancer, il y a eu des statistiques qui ont été faites. Par exemple, les femmes feraient plus souvent des cancers du sein après une séparation. Mais vous savez, des statistiques, on en fait ce qu'on veut, c'est difficile. Nous, nous ne travaillons, encore une fois, qu'avec des cas particuliers. Bon, encore une fois, ce n'est pas parce qu'on fait un eczéma que c'est psychosomatique, ce n'est pas parce qu'on fait un asthme, etc. Mais c'est vrai qu'il y a des rencontres assez curieuses, comme cela.