Jean-Claude Maleval : Qui sont les autistes ?

Jean-Claude Maleval est psychanalyste à Rennes (France). Il est membre de l’École de la Cause Freudienne (ECF) et de l’Association Mondiale de Psychanalyse (AMP). Il est professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à l'université de Rennes-II ; auteur de cinq livres sur les psychoses et l'autisme : Folies hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981) ; Logique du délire, (Masson, 1997) ; La forclusion du Nom-du-Père, (Seuil, 2000) ; L'autiste, son double et ses objets, (Presses Universitaires de Rennes, 2009) ; et son dernier livre vient de paraître en octobre 2009 au Seuil : L'autiste et sa voix.

Introduction

Jean-Marc Duru : C'est avec un grand plaisir que le Pont freudien accueille en cette fin de semaine, pour sa 29ème rencontre, Monsieur Jean-Claude Maleval qui nous arrive d'une très belle région de France, la Bretagne.

Jean-Claude Maleval, Bonsoir,
Vous êtes psychanalyste, membre de l'École de la Cause Freudienne et de l'Association Mondiale de Psychanalyse.
Vous êtes Professeur de psychologie clinique et pathologique à l'université de Rennes.
Vous êtes responsable du Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique de cette université.
Merci à vous, Jean-Claude Maleval, de venir nous rencontrer ici au Québec, à Montréal, et d'accepter de partager avec nous, ce soir et toute cette fin de semaine, votre expérience et votre recherche sur la structure clinique de la psychose et la spécificité de l'autisme.

Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur ces thèmes depuis quelques années :
Folies hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981) ;
La logique du délire (Masson, 1997) ;
La forclusion du Nom-du-Père (Seuil, 2000) ;
L'autiste, son double et ses objets, sous votre responsabilité (Presses universitaires de Rennes, 2009) ;
Et votre dernier livre paru au Seuil en octobre 2009, dont il sera question ce soir : L'autiste et sa voix.

Ce sont ces personnes autistes dont il est question dans votre livre, et de votre approche psychanalytique sur cette position subjective particulière du sujet, qui diffère de l'approche déficitaire du DSM IV.
Les témoignages montrant les capacités exceptionnelles de mémorisation de certains autistes connus, l'invention de certains objets dits "autistiques" permettant à la personne de contenir une forme de jouissance envahissante dans son rapport à l'Autre, semblent se décaler de la définition comportementale de l'autisme, comme trouble fondamental du développement, des fonctions motrices, cognitives et celles permettant l'acquisition du langage.
Votre recherche sur l'autisme et ses énigmes suscitent bien évidemment des questions, comme celle sur la spécification des deux traits pathognomiques fondamentaux de l'autisme infantile décrit par Léo Kanner en 1943 : l'extrême solitude, l'aloneness et l'immuabilité, la samenes.

L'autisme est-il une position subjective particulière dans la structure de la psychose infantile ?
Qu'en est-il du rapport du sujet autiste à l'énonciation par le langage ?
Qu'en est-il également de l'appui sur l'objet autistique lorsqu'il est inventé par le sujet autiste, objet qui peut faire prolongation de corps pour contenir son rapport à l'Autre ?

Quelques questions, quelques explications surtout sur cette approche psychanalytique lacanienne, que suscite le thème de votre conférence ce soir et que nous aurons plaisir à entendre.

Nous réservons un temps de questions bien sûr à la fin de la conférence où le public pourra vous interroger.

Je rappelle que le travail se poursuit à l'hôpital Notre-Dame samedi et dimanche sur le thème : « Fantasmes psychotiques et clinique du désert », avec trois temps de travail : un séminaire de lecture samedi matin, un séminaire clinique samedi après-midi où Patrick Rivard et moi-même présenterons chacun un cas clinique, et le séminaire théorique dimanche matin.

Notre prochaine rencontre du Pont Freudien aura lieu à l'automne 2010.

Soyez donc le bienvenu, Jean-Claude Maleval, et merci encore d'être venu nous visiter.

Qui sont les autistes ?

Jean-Claude Maleval : Existe-t-il une structure autistique ? C’est l’hypothèse implicite d’un des plus fins cliniciens de l’autisme. Il y a une constance de ce type clinique, affirme Asperger. «À partir de deux ans, ces traits sont très reconnaissables – ils perdurent toute la vie. Bien sûr les capacités intellectuelles et du caractère se développent ; il y a des traits qui apparaissent ou disparaissent au cours du développement et les difficultés changent. Mais l’essentiel reste invariable […] C’est l’unité des symptômes et leur constance qui rend cet état aussi typique »1. […] « Les symptômes décrits ne montrent rien d’évolutif, restent stables durant toute la vie »2.

Dès lors, si nous faisons l’hypothèse d’une structure autistique, comment caractériser ce qui reste constant ? Pour la dégager, il semble qu’il faille se souvenir d’un enseignement méthodologique essentiel donné par Freud et Lacan dans l’étude des psychoses. Rappelons que l’IPA3 et les cognitivistes considèrent la psychose comme une défaite de la pensée, comme une défaillance du moi ou comme un dysfonctionnement cognitif. La psychose qui semble le mieux répondre à ce modèle est la schizophrénie, de sorte qu’elle fait l’objet de toute leur attention et de la majorité de leurs études. Freud et Lacan font au contraire l’hypothèse que c’est en partant des formes les plus élaborées de la défense psychotique que l’on peut comprendre les formes les plus frustres. Freud et Lacan privilégient la paranoïa et les Mémoires du Président Schreber4 pour appréhender la psychose. L’étude du schizophrène n’éclaire guère le fonctionnement du paranoïaque, en revanche le paranoïaque permet souvent de mieux comprendre le schizophrène, surtout quand, à l’instar de Schreber, il connut une phase schizophrénique avant d’élaborer une paranoïa.

Cette méthodologie, qui consiste à partir des formes les plus hautes de la défense, afin d’éclairer après-coup les formes plus sommaires, celle de Freud et de Lacan pour l’étude de la psychose, me paraît devoir être la plus heuristique pour l’étude de l’autisme. C’est l’autisme de haut niveau, et celui d’Asperger, qui doit permettre de jeter des lumières nouvelles sur l’autisme de Kanner.
Or nous disposons depuis une vingtaine d’années de quelques textes remarquables, produits par des sujets d’une exceptionnelle finesse dans la description de leur fonctionnement, des textes qui sont l’équivalent pour l’appréhension de l’autisme de ce que furent les Mémoires de Schreber pour l’appréhension de la paranoïa.

Nombreux sont aujourd’hui les autistes de haut niveau qui écrivent. Plusieurs d’entre eux me semblent se hisser par leurs écrits au niveau de Schreber. Tout particulièrement : Donna Williams, Temple Grandin, Birger Sellin, Daniel Tammet, voire, à un degré moinde, Sean Barron, Annick Deshays et bien d’autres encore (Jim Sinclair, Tito Mukhopadhyay, Joffrey Bouissac, etc.).
Dans certains milieux, il est aujourd’hui une mode qui considère politiquement correct de ne plus parler des autistes, mais uniquement des « personnes avec autisme », suggérant ainsi que l’autisme serait une maladie parasitaire éradicable. Ce n’est pas l’opinion des principaux intéressés. Même une Temple Grandin, qui conçoit pourtant l’autisme comme une maladie génétique, même elle affirme : « Si je pouvais, d’un claquement de doigts, cesser d’être autiste, je ne le ferais pas. Parce que je ne serais plus moi-même. Mon autisme fait partie intégrante de ce que je suis »5. Malgré sa réussite sociale, Williams ne cesse de se considérer autiste et témoigne de la persistance de son fonctionnement original, même s’il est de mieux en mieux adapté. Jim Sinclair, un autiste américain de haut niveau, est plus explicite encore sur ce point : « L'autisme, écrit-il, n'est pas quelque chose qu'une personne a, ou une "coquille" dans laquelle une personne est enfermée. Il n'y a pas d'enfant normal caché derrière l'autisme. L'autisme est une manière d'être. Il est envahissant ; il teinte toute expérience, toute sensation, perception, pensée, émotion, tout aspect de la vie. Il n'est pas possible de séparer l'autisme de la personne... et si cela était possible, la personne qui vous resterait ne serait pas la même personne que celle du départ.
C'est important, aussi prenez un moment pour y réfléchir : l'autisme est une manière d'être. Il n'est pas possible de séparer la personne de l'autisme»6.
La lecture attentive des textes des autistes paraît confirmer l’existence d’une constante, non seulement dans le mode de fonctionnement de ces sujets, mais de surcroît ce qu’ils ont en commun se discerne déjà pour l’essentiel chez une enfant autiste aussi jeune et aussi différente d’eux que Marie-Françoise, enfant de trente mois, dont la cure fut relatée par Rosine et Robert Lefort dans Naissance de l’Autre7.

Cette constante résiste au discours de la science, car pour la dégager il faut prendre en compte ce que la science doit méthodologiquement rejeter, à savoir le sujet qui la fait. Une structure autistique ne se dégage qu’à la faveur d’une étude de l’économie de la jouissance et des pulsions. Il apparaît de surcroît nécessaire de prendre au sérieux l’adjonction faite par Lacan de l’objet vocal aux trois objets pulsionnels déjà révélés par Freud (oral, anal et scopique). Issu des travaux de Lacan sur les hallucinations et la psychose, l’objet voix s’avère remarquablement heuristique dans une autre clinique, celle de l’autisme.

L’indication de Lacan selon laquelle « les autistes s’entendent eux-mêmes »8 est essentielle, pourtant elle est moins clinique que structurale : elle pointe une intimité principielle de l’autiste à sa voix. La conséquence en est le clivage a / S1 sur lequel les Lefort ont mis l’accent. Dès lors, la structure autistique me paraît pouvoir être caractérisée par les deux points suivants :

1°) Une rétention de l’objet de la jouissance vocale, suscitant un primat du signe dans la langue fonctionnelle de l’autiste.
La voix est un objet pulsionnel ajouté par Lacan aux trois objets freudiens (oral, anal et scopique). C’est une notion particulièrement difficile à saisir. Elle ne correspond pas aux notions intuitives que nous en avons, qui tendent à l’identifier à l’intonation de la parole. Quand la voix est mise en place par la castration symbolique, elle se coupe de son support, le corps, elle devient aphone, se loge dans le vide de l’Autre, et permet au sujet d’y placer son énonciation, ancrant celle-ci dans le symbolique et le lien social. C’est précisément ce qui ne se produit pas chez l’autiste, la voix ne se coupe pas de son support, elle est retenue, l’énonciation ne se place pas au champ de l’Autre, elle reste pour l’autiste un objet de jouissance encombrant et inquiétant.
Pour saisir de manière un peu plus intuitive ce qu’est la voix en tant qu’objet de jouissance, il convient de souligner qu’elle ne s’entend que pour les sujets autistes ou psychotiques. Elle s’appréhende de la manière la plus pure, non connectée au signifiant, dans les hurlements angoissants qui peuvent s’imposer à eux. Toutefois, chez les autistes, la voix est maîtrisée, ce qu’indique nettement le fait qu’un grand nombre d’entre eux soient mutiques. En revanche, chez les psychotiques, la voix peut se déchaîner dans les hallucinations verbales. Autistes et psychotiques sont en prise avec une voix pulsionnelle inquiétante non tempérée par la fonction phallique.

2°) Un retour de la jouissance sur le bord (Éric Laurent) ; ce bord étant constitué par trois éléments imbriqués les uns dans les autres : l’objet autistique, le double et l’îlot de compétence. Ils localisent la jouissance du sujet et lui servent de protection. Le bord est une frontière érigée par le sujet autiste, à partir de son objet, entre son monde sécurisé et immuable et le monde des autres, incohérent et angoissant.

Partons d’un exemple clinique pour illustrer le premier point :
Pendant des semaines, relate Mira Rothenberg à propos de Peter un jeune autiste, j’ai corrigé son expression orale, en lui demandant de mettre dans sa voix un peu plus d’énergie – « Pour être vivant quand tu parles », lui expliquais-je ». Elle constata qu’il « restait sourd » à ce conseil. Elle insista en essayant la même technique avec la lecture : elle lui demanda de lire d’une façon vivante. « Quelque chose dans mes propos avaient dû le toucher, rapporte-t-elle. Je reçus un coup de pied dans les tibias ». Elle ne se découragea pas pour autant. Excédé Peter se mit à lire « comme il frappait – avec énergie et vitalité ». Une telle lecture n’impliqua pas nécessairement qu’il y engagea sa présence énonciative, de surcroît elle ne fut pas une expression de son propre ressenti, mais il perçut bien que c’était cela qui ne cessait de lui être demandé. Il fit des efforts pour satisfaire sa thérapeute. « Un jour, rapporte-t-elle, il me lut une histoire avec une force et une animation que je lui avais rarement vues auparavant. Je m’exclamai :
- C’est formidable, c’est ça que je voulais dire.
Soudain, il leva les yeux vers moi, terrifié. Sidérée par l’expression que je lisais sur son visage, je balbutiai :
« Qu’y a-t-il, Peter ?
Il hurla :
- Parce qu’après, il y a le cimetière !
- Après quoi ?
- Quand vous êtes bien. Alors, après, il y a une voie sans issue et le cimetière ».

Mira Rothenberg interprète avec pertinence cette dernière phrase en supposant qu’il voulait dire « qu’après avoir connu la vie il faut mourir ». Donner vie au langage, c’est pour l’autiste faire entendre l’angoissant objet de la jouissance vocale, or il est au principe de sa structure subjective qu’il ne soit pas mortifié par le signifiant, de sorte que rien ne saurait être pour lui plus angoissant. La suite de ce fragment clinique exemplaire le confirme. Elle lui fit part de ce qu’elle avait compris du rapport qu’il établissait entre la vie et la mort. « Il se mit à trembler et à transpirer. Puis il courut à la fenêtre, se fit tout mou, se replia sur lui-même comme s’il se desséchait et commença à compter – ce qu’il n’avait plus fait depuis très longtemps ». Soulignons le retour du repliement sur soi et de celui d’un mécanisme de protection abandonné, ce qui témoigne fortement de la résonance subjective de l’incident. Bien entendu, il ne persiste pas dans ses efforts pour mobiliser l’énonciation, « inutile de dire, commente Rothenberg, que sa manière de parler et de lire redevint plus monotone que jamais ».

« Après cet épisode, poursuit-elle, Peter essaya de m’éviter. Il dit à sa mère qu’il ne voulait pas que [je lui] parle. […] À moi, il disait : « Peter ne veut pas que vous alliez avec lui chez le Dr Goldstein ». Quand je lui en demandais la raison, il me répondait seulement : « Parce que Mira dira au Dr Goldstein ». Je l’interrogeais : « Dire quoi ? » ; il me répliquait invariablement ; « Parce que Mira sait », ou bien « La vérité ». » N’approcha-t-elle pas en effet du plus près qu’il soit possible la vérité de l’autiste en n’hésitant pas à lui formuler que son angoisse prenait sa source dans l’expression du vivant ?

L’incident de la lecture eut un profond retentissement sur leur relation. « Il créa entre nous une fêlure », relate Rothenberg, qui travaillait alors avec Peter depuis trois ans, de sorte que « nous avons ainsi fait marche arrière pendant près de six mois ». Elle tenta de lui interpréter ce qui se passait, en lui disant « qu’il faisait semblant d’être mort parce que, peut-être, il avait vraiment peur de mourir s’il se mettait à vivre. Peter s’écarta alors de moi, rapporte-t-elle, et, souvent, il essaya de me faire du mal physiquement, car, disait-il, « Mira connaît la vérité ». À la suite de quoi elle se sentit quelque peu « effrayée de sa fureur » contre elle. Elle devina même confusément qu’elle avait dû commettre une erreur, ne cachant pas qu’elle « se sentait très culpabilisée par son attitude », de sorte que, pendant les six mois de froideur, elle essaya désespérément de renouer le contact9.

Cette vignette clinique met l’accent sur le refus de l’autiste, refus pas toujours si conscient que chez Peter, de mobiliser la jouissance vocale pour servir à l’expression verbale. Ce que les Lefort notent un clivage a/S1. Rien n’angoisse plus l’autiste que de céder sur sa jouissance vocale en l’aliénant dans la langue de l’Autre.

Kantzas par exemple fait la même constatation : « Nous avons souvent demandé avec insistance à Lapo de parler au lieu de chanter, rapporte-t-il. Lapo se raidissait alors, se cachait les oreilles et s’angoissait »10.

L’imagerie populaire qui fait de l’autiste un être muet n’est pas sans pertinence : le mutisme constitue la manière la plus radicale de retenir la jouissance vocale. Pour qui n’accepte pas de loger sa voix au champ de l’Autre, la parole peut devenir impossible.

Pourtant, plus de la moitié des enfants autistes parlent, mais leurs verbalisations sont originales : elles suggèrent d’emblée à Kanner les notions de « langage de perroquet » ou d’« écholalie à retardement ». Asperger note que leur parole ne semble pas naturelle, elle a l’air d’une caricature et évoque la dérision. De plus, ils ne s’adressent pas à un interlocuteur, ils parlent dans le vide11. Parfois les parents constatent qu’ils acquièrent avec aisance des mots nouveaux, sans apprendre pour autant à parler, au sens où la parole témoigne d’une expressivité du sujet. Ils décrivent le phénomène en notant que l’enfant prononce des mots, mais ne les utilise pas. De surcroît on sait que l’emploi correct du « Je » est toujours tardif, et parfois n’advient jamais. À l’autre extrémité du spectre clinique, chez les autistes de haut niveau, se rencontre régulièrement une voix artificielle, particulière, sans expressivité. En outre, les mots restent « émis plutôt que parlés », ils proviennent d’un « répertoire mental mémorisé », rien n’est plus difficile à ces sujets qu’une « expression personnelle »12. Quand ils parlent, c’est sans s’impliquer dans leur parole, sans prendre appui sur leur ressenti. Ils n’engagent pas la jouissance vocale dans le langage.

Que la représentation la plus commune de l'enfant autiste en fasse un être muet repose sur une certaine prescience de la carence énonciative qui détermine cette pathologie : elle ne saurait être plus évidente qu'en ce silence obstiné. Quand le sujet autiste cherche à communiquer, il le fait autant que possible d’une manière qui ne met en jeu ni sa jouissance vocale, ni sa présence, ni ses affects. S’il est une constante discernable à tous les niveaux du spectre de l’autisme, elle réside dans la difficulté du sujet à prendre une position d’énonciateur. Il parle volontiers, mais à la condition de ne pas dire.

La difficulté à exprimer son ressenti incite Grandin à comparer sa manière de penser à celle d’un ordinateur. « J’ai récemment assisté, rapporte-t-elle en 1995, à une conférence où une sociologue a affirmé que les êtres humains ne parlaient pas comme des ordinateurs. Le soir même, au moment du dîner, j’ai raconté à cette sociologue et à ses amis que mon mode de pensée ressemblait au fonctionnement d’un ordinateur et que je pouvais en expliquer le processus, étape par étape. J’ai été un peu troublée quand elle m’a répondu qu’elle était personnellement incapable de dire comment ses pensées et ses émotions se raccordaient. Quand elle pensait à quelque chose, les données objectives et les émotions formaient un tout. […] Dans mon esprit, ils sont toujours séparés »13. Le rapprochement effectué par Grandin entre sa pensée et le fonctionnement d’un ordinateur n’est pas sans quelque pertinence, si l’on conçoit que ce qui caractérise la « pensée » d’un ordinateur réside dans son absence d’affects. « Qu'un ordinateur pense, note Lacan, moi je le veux bien. Mais qu'il sache, qui est-ce qui va le dire ? Car la fondation d'un savoir est que la jouissance de son exercice est la même que celle de son acquisition. »14 Or c’est précisément une telle acquisition de savoir, produite à l’occasion du chiffrage de la jouissance par l’entrée du sujet dans la chaîne signifiante, qui fait défaut aux autistes. La « pensée » de l’ordinateur se déroule dans un désert absolu de jouissance, elle constitue un idéal autistique.

Primat du signe

On sait que les Lefort ont soutenu qu’il n’y a pas de S1 dans l’autisme, de sorte que la jouissance du sujet ne serait pas chiffrée, parmi d’autres arguments pour soutenir cette thèse ils invoquent l’absence du babil. Il convient de nuancer cette affirmation, si l’on s’en tient à une approche des phénomènes apparents ce n’est pas le cas le plus fréquent, les spécialistes s’accordent plutôt à considérer que le babil de l’enfant autiste est pauvre, anormal ou idiosyncrasique.

Selon les linguistes contemporains, « le babillage n’est pas le langage, mais il est un langage qui fournit un cadre pour le développement de la parole »15, si bien qu’il n’y a pas de discontinuité entre les formes du babillage et celle des premiers mots : certains enfants donnent ainsi l’impression de choisir leurs premiers mots parmi les sons du babillage qu’ils ont aimé produire »16. On a longtemps cru que le babil n’était qu’un chaos non structuré ; or il s’est avéré que dès le huitième mois il révèle une précoce adaptation aux principes structuraux de la langue maternelle. Le babil d’un enfant anglais est différenciable de celui d’un français, d’un suédois, d’un algérien ou d’un japonais, de sorte qu’il témoigne déjà d’un ancrage du sujet et de son énonciation dans le discours de l’Autre. De surcroît, il est contemporain des premières segmentations en syllabes de l’onde continue de la parole, de l’acquisition des premiers mots et de la découverte qu’ils sont porteurs de sens.

Une étude précise du « babil » d’enfants autistes, âgés de trois à cinq ans, a montré des différences significatives avec le babillage ordinaire. Effectuée par D. M. Ricks, elle amène à conclure que les vocalisations des enfants autistes sont idiosyncrasiques, car seules leurs mères peuvent comprendre certaines expressions qui s’y manifestent, telles qu’une demande, une frustration, une surprise ou un signe de bienvenue. Il s’agit donc d’un babil produit à partir d’une rétention de la voix : témoignant nettement que celle-ci n’est pas placée au champ de l’Autre.

L’autiste, comme le notait Lacan, entend rester « maître du langage » : inventer sa propre langue est une manière d’y parvenir. Quand il produit un babil, inauthentique, celui-ci est idiosyncrasique, il n’est pas régi par les découpages syllabiques propres à sa langue maternelle. Il se confirme qu’il n’accepte pas de lâcher le réel en jeu dans le sonore qui ferait advenir la perte de jouissance que le passage par l’Autre nécessite. Chaque enfant possède initialement la capacité de développer tous les phonèmes, mais pour civiliser sa jouissance, il doit accepter une réduction massive de celle-ci. Or, même chez une autiste de haut niveau telle que Williams, les découpes pertinentes se font mal, quand elle crée des chansons, elle discerne que pour elle les mots restent enchassés dans l’onde sonore : ils « faisaient partie de la mélodie, écrit-elle, ils en provenaient ».

Pour ces diverses raisons, fondement écholalique de la langue privée, inexistence d’un babil authentique, inventions de néologismes, non ancrage des premiers mots dans le ressenti, découpes pertinentes de la langue qui tendent à rester enchassées dans la mélodie, il semble que l’on puisse confirmer la thèse des Lefort selon laquelle, chez l’autiste, ne s’opère pas la mutation du réel au signifiant. Ils soulignent à juste titre la non-fonction du « S1 unaire, celui de la jouissance préalable, par lequel le sujet se pose, à partir de la voix de l’Autre, par son babil. Les rares indications de Lacan concernant l’autisme s’orientent vers la même approche. Dick, affirme-t-il, en 1954, vit « dans un monde non-humain » parce qu’il « ne peut même arriver à la première sorte d’identification qui serait déjà une ébauche du symbolisme […] il a déjà une certaine appréhension des vocables, mais de ces vocables il n’a pas fait la Bejahung – il ne les assume pas »17. Dick, note encore Lacan, « est tout entier dans l’indifférencié », suggérant qu’il vit dans un monde inorganisé dans lequel le signifiant n’a pas introduit ses découpes.

Incapacité à généraliser, pauvreté de la capacité d’abstraction, disent les spécialistes, certes, mais plus précisément, faute d’avoir eu accès au signifiant, l’autiste pense d’abord avec des signes, lesquels se caractérisent de conserver un rapport étroit avec leur référent. Lorsque Grandin affirme « penser en images », elle atteint parfois à l’idéal du code autistique : celui qui fonctionne à l’aide de représentations en tous points identiques à la chose. « Mon imagination, affirme-t-elle, fonctionne comme les logiciels d’animation graphique qui ont permis de créer les dinosaures réalistes de Jurassic Park. Quand j’essaie une machine dans ma tête ou que je travaille sur un problème de conception, c’est comme si je le visionnais sur une cassette vidéo. Je peux regarder l’appareil sous tous les angles, me placer au-dessous ou en-dessous, et le faire tourner en même temps. Je n’ai pas besoin d’un logiciel sophistiqué pour faire des essais en trois dimensions »18. Une telle image constitue la forme la plus achevée du signe iconique. On sait que, parmi les différents signes, les enfants autistes apprécient particulièrement les icônes, c’est-à-dire des signes motivés, au moins partiellement, qui représentent schématiquement l’entité, la personne, l’événement ou l’attribut désignés (par exemple le Z sur les panneaux routiers pour désigner des lacets ; le plan d’une maison, des images d’hommes ou de femmes à l’entrée des W.C, etc.). Ils les apprécient parce que l’icône constitue le signe le plus approprié à leur recherche de codage du monde : en elle s’avère immédiatement manifeste une connexion rigide du signe à l’image du référent.

Au mieux, quand ils ne sont pas sans référent objectivable, les signes ne prennent en charge les objets du monde que image par image ou séquence par séquence. Le concept de chien renvoie inextricablement pour Grandin à chacun des chiens qu’elle a connu dans sa vie. Pour l’autiste, le langage ne fait pas inexister ce dont il parle, le mot n’est pas totalement le meurtre de la chose. Or ce n’est qu’à cette condition, celle de la significantisation, que le monde devient « semblantifié »19. Tous les observateurs s’accordent à constater que le « faire semblant » est déficient chez l’autiste. Or, au principe de cet acte, se trouve le décollement du signifiant et de l’objet, ce qui permet à l’enfant de prétendre qu’un soulier est une voiture, qu’une banane est un avion, que le chien fait miaou et la chat ouah-ouah, etc.

L’autiste n’ayant pas la possibilité de mobiliser le signifiant pour s’exprimer, il en passe par des signes auxquels il s’efforce de donner une signification absolue. Selon Lacan, le signe représente quelque chose pour quelqu’un, réduisant ainsi son acception à l’icône et à l’indice au sens de Peirce. L’exemple qu’il convoque, celui de la fumée comme signe du feu, analogue à la girouette comme celui du vent, relève de l’indice selon Peirce. Une caractéristique majeure de tels signes est qu’ils n’effacent pas totalement la chose désignée, puisqu’ils restent avec elle dans un rapport de similarité ou de contiguïté. Le référent des signes se trouve dans le monde des choses. Tel n’est pas le cas du signifiant : s’il est appréhendé, selon la définition donnée par Lacan, comme ce qui représente le sujet, et sa jouissance, auprès d’un autre signifiant, il se trouve coupé de la représentation. Le signifiant rompt le lien avec ce qu’il signifie, il ne vaut que par la différence qu’il introduit, ce qui lui permet de faire advenir le symbole, au sens de Peirce, qui « ne peut pas indiquer une chose particulière » mais seulement « un genre de choses »20. Les obstacles rencontrés par les autistes pour généraliser ou pour faire semblant manifestent leurs difficultés d’accès au symbole pris dans cette acception. Toutefois il est abusif d’affirmer que les autistes n’ont pas accès à l’abstraction, leurs capacités de symbolisation qui en passent essentiellement par l’indice, voire par l’icône, sont plus rudimentaires que celles du sujet du signifiant, elles mettent malgré tout en œuvre un processus de substitution qui permet de porter la chose au langage. De plus, pour décrire le monde, la langue fonctionnelle de signes parvient à utiliser des signes sonores ou scripturaux issus de la langue de l’Autre.

Les signes qui forment l’Autre de synthèse de l’autiste possèdent deux différences majeures avec les signifiants qui constituent l’inconscient freudien : d’une part, et c’est essentiellement ce que décrit Grandin en parlant de « penser en images », ils restent parasités par le référent, ils n’effacent pas la chose représentée ; d’autre part, ils n’ont pas la propriété de fonctionner comme « godet de la jouissance » (Lacan), ou comme « marqueurs somatiques » (Damasio), c’est-à-dire qu’ils ne représentent pas la pulsion, ce que tous les autistes soulignent en notant l’absence de connexion entre le langage et la vie émotionnelle. Les Lefort mettaient l’accent sur ce point : « dans la structure autistique, affirmaient-ils, le signifiant manque à devenir corps et manque ainsi à faire affect »21. Pour qui pense avec des signes, la structuration de l’être ne se fait pas en utilisant la matière signifiante ; or, cette dernière possède l’étonnante propriété d’emprunter non seulement au son, un signifiant laisse une trace sur la bande magnétique, mais aussi au corps, ce que montrent les conversions hystériques, l’hypnose ou l’effet placebo. Le langage n’est pas un simple outil de communication, c’est, selon Lacan, l’habitat du sujet, il tresse dans le corps des brins de jouissance. Le symbolique avec lesquels les autistes se structurent induit une propension à recourir aux indices et aux icônes pour appréhender le monde, or ces signes ne s’inscrivent pas dans le corps et ne sont pas porteurs de la jouissance vocale, d’où l’obligation de « tout comprendre par l’intellect » soulignée d’emblée par Asperger.

Le bord dynamique

Du bord, Bettelheim nous propose une approche clinique par l’intermédiaire de ce qu’il nomme le « comportement de frontière » observé chez beaucoup d’enfants autistes. Ceux-ci créent une frontière, entre eux et le monde extérieur, qui leur sert de protection, de sorte qu’ils se tiennent régulièrement à l’intérieur des surfaces délimitées par les frontières qu’ils créent22. « Les plus avancés, affirme Bettelheim, le font avec des matériaux tels que des chaînes en papier ou des ficelles ». Il est notable que cette frontière participe d’un bord pour le sujet, « le contact constant avec une surface est un préliminaire important au vrai « comportement de frontière », note Bettelheim. La frontière est une surface dont le sujet décolle à peine23.

Laurie, enfant autiste mutique de huit ans, « construisait des frontières selon des conceptions complexes qui devaient obéir à des spécifications rigoureuses. Elle utilisait le sable par exemple pour faire des frontières sur le petit mur qui bordait le bac à sable, ce dernier devenant ainsi son domaine. » Or, ce comportement de frontières mobilise parfois des capacités tout à fait étonnantes de la part d’enfants dont les acquisitions intellectuelles paraissent très pauvres. « Il peut paraître exagéré, note Bettelheim, d’avancer que Laurie possédait, ou avait acquis des concepts géométriques complexes qu’elle utilisait maintenant. Cependant, il faut préciser que Laurie créa une rangée continue de plus de vingt mètres de long faite de cinquante ondes sinusoïdes presque parfaites, à l’aide d’un matériau aussi peu pratique que l’écorce, sur un petit mur séparant une de nos cours de jeux d’un trottoir. (Photo parmi les documents en annexe). Fait beaucoup plus remarquable, elle sut résoudre avec beaucoup d’habileté le difficile problème de négocier le coin que formait le mur sans interrompre cette courbe continue. Elle se tenait toujours à l’intérieur de ses frontières ; celles-ci séparaient toujours son monde privé du reste de l’univers »24.

Williams précise le vécu que l’autiste peut avoir de ces phénomènes : « Lorsque je m’enfermais moi-même, c’était aussi les autres que j’enfermais dehors »25 ; « Dessiner des cercles, des frontières, des lignes de bordure, sert de moyen de protection contre l’invasion extérieure, venue « du monde »26 ; « Ce qui me terrifiait, commente-t-elle, c’était qu’on pût me contraindre à faire ce que je ne voulais pas, à m’empêcher d’être moi-même et à me refuser la liberté de me réfugier dans ma propre prison, certes bien solitaire, mais tellement sûre »27.

Le bord délimite donc une monde intérieur de liberté et de toute-puissance, tandis qu’il constitue une protection à l’égard du monde extérieur, mais il faut souligner qu’il se prête à un traitement complexe de la part du sujet, à l’occasion duquel il s’avère parfois développer de remarquables capacités.

C’est une constante souvent soulignée de la clinique de l’autisme : l’aptitude de ces sujets à développer ce que l’on nomme des « îlots de compétence ». Ils se présentent souvent comme des érudits dans un domaine très localisé : les trains, les automobiles, les plantes carnivores, les isolateurs électriques, etc. Les compétences qu’ils acquièrent en ce domaine se généralisent parfois jusqu’à leur permettre une insertion professionnelle (Joey devint électricien).

Le bord est une frontière protectrice, qui peut devenir le lieu de déploiement d’un îlot de compétence, mais c’est aussi le lieu où le sujet situe un objet-double qu’il maîtrise. Un objet-double qui lui permet parfois d’avancer des « pseudopodes », comme disait Kanner », pour s’aventurer au-delà de la frontière.

Quand il introduit la formule du retour de la jouissance sur le bord, en 1992, Éric Laurent donne comme exemple du bord la « carapace » de Tustin, c’est-à-dire des objets autistiques protecteurs dont la dimension de double est particulièrement accentuée28. Nous élargissons un peu plus le concept de bord autistique en y incluant un autre élément, l’îlot de compétence, une des sources majeures de l’Autre de synthèse, qui participe tout aussi régulièrement que le double et l’objet à la localisation de la jouissance du sujet, si l’on prend en compte les formes évolutives de l’autisme infantile précoce. La fréquente interpénétration de ces éléments justifie de surcroît de les regrouper sous le concept de bord autistique.

Le bord est d’abord une protection, mais c’est aussi et surtout le lieu de la jouissance du sujet ; c’est en se branchant sur celui-ci qu’il trouve sa dynamique. Ce phénomène n’est jamais plus évident que dans l’observation de Joey.

Sur son bord, il avait construit une machine, dont la fonction majeure était de lui fournir de l’électricité. Cet objet autistique complexe lui permettait de tenter de réguler sa jouissance pour lui fournir une énergie vitale. Se brancher sur eux l’anime, se débrancher le laisse sans vie. Dans les premiers temps de son séjour à l'École orthogénique, il semblait fonctionner par télécommande, comme un « homme mécanique » mû par des machines qu'il avait créées et qui échappaient à son contrôle. « Il y avait des moments, par exemple, relate Bettelheim, où une longue période de non-existence était interrompue par la mise en route de la machine et de son passage à un régime toujours plus élevé, jusqu'à ce que le dénouement soit atteint dans une « explosion » pulvérisatrice. Cela se produisait plusieurs fois par jour et se terminait lorsque Joey projetait brutalement une lampe de radio ou une ampoule électrique qui éclatait en mille morceaux dans un bruit d'explosion.[...] Dès qu'était arrivée l'heure de faire exploser le monde, cet enfant qui vivait muet et sans bouger, dans le plus grand calme, brutalement devenait complètement fou, courait dans tous les sens et criait « Crack ! Crack ! » ou « Explosion ! » en lançant une ampoule ou un moteur. Dès que l'objet lancé s'était brisé et que le bruit s'éteignait, Joey s'éteignait aussi. Sans transition aucune, il retournait à sa non-existence. Dès que la machine avait explosé, il n'y avait plus de mouvement, plus de vie, plus rien »29. Les branchements de Grandin sur sa trappe à serrer, pour réguler son énergie vitale, ou ceux de Williams sur ses compagnons imaginaires, afin de pouvoir fonctionner socialement sont du même ordre.

Bien que Tustin considère que les objets autistiques sont des objets pathologiques, de sorte qu’ils devraient disparaître dans le cours d’une cure, elle a constaté que la suppression brutale de la protection qu'ils apportent risque d'avoir des conséquences néfastes. « Je suis très inquiète, écrit-elle, quand j'entends des gens parler de « supprimer l'autisme », de le « guérir », ou encore de le « percer ». J'ai vu des enfants, ou entendu parler d'enfants, qui avaient été traités en fonction de telles conceptions : ils étaient devenus hyperactifs ou même nettement schizophrènes »30. En effet, quand le sujet autiste est mis dans l’impossibilité de situer sa jouissance sur le bord, elle fait retour sur le corps. Quand c’est une partie du corps qui fait fonction d’objet et de frontière avec le monde extérieur, il devient extrêmement difficile de distinguer entre un tableau schizophrénique et un tableau autistique.

Les objets construits sur le bord possèdent une importance majeure pour les sujets autistes. Tous convergent dans leurs propos et leurs comportements pour indiquer que ces objets leur sont d’une aide précieuse. « Pour des raisons importantes, écrit Sellin, je peux trouver la sécurité seulement dans des objets » ; « depuis ma plus tendre enfance, note Grandin, je suis beaucoup plus intéressée par les machines que par mes semblables ». Williams est plus précise encore : « Pour moi les personnes que j'aimais étaient des objets, et ces objets (ou les choses qui les évoquaient) étaient ma protection contre les choses que je n'aimais pas, c'est-à-dire les autres personnes[...] Communiquer par le biais des objets était sans danger ».

Grandin insiste sur l’erreur que commettent beaucoup d’éducateurs d’enfants autistes quand ils veulent balayer leurs fixations et leurs « obsessions ». « Ils feraient mieux, dit-elle, en s’appuyant sur son expérience personnelle, d’élargir le champ obsessionnel et d’essayer d’orienter l’intérêt manifesté par l’autiste vers des activités constructives. Par exemple, si un enfant est un fanatique de bateaux, il faut tirer profit de son obsession des bateaux pour l’inciter à lire, à faire des mathématiques, à consulter des livres spécialisés et à résoudre des problèmes de vitesse et de nœuds. Les fixations sont une source de motivations. Leo Kanner a déclaré un jour que le chemin du succès, pour certains autistes, consistait à transformer une fixation en carrière professionnelle. »31 On sait par exemple que l’enfant-machine de Bettelheim, Joey, passionné par l’électricité et les ampoules, devient électricien à l’âge adulte.

Beaucoup de critiques ont été adressées à la communication facilitée pratiquée avec les autistes. Ces derniers témoignent tous avoir longtemps besoin que leur main soit soutenue par celle du facilitateur pour parvenir à taper sur le clavier, ce qui incite certains observateurs à considérer que leur main est guidée par le facilitateur et qu’ils ne sont pas réellement les auteurs des textes. En fait, en progressant, beaucoup arrivent à restreindre leur besoin d’aide, parfois même à pouvoir s’en passer, de sorte qu’il ne fait guère de doute qu’ils soient réellement les auteurs des textes produits. La fonction du facilitateur n’est étrange et suspecte que pour qui ne conçoit pas la nécessité du branchement sur un double pour que l’autiste trouve une dynamique. Se supporter de la main du facilitateur pour agir n’est qu’une variante de la conduite si fréquente qui consiste à prendre l’adulte par la main pour lui faire exécuter un acte que l’enfant autiste lui-même pourrait faire s’il n’était pas inhibé dans son agir.

L’autiste est capable de garder son double à sa main. C’est une remarquable spécificité du fonctionnement autistique que de pouvoir parvenir à maîtriser la division du sujet par l’intermédiaire d’un contrôle du double. Dans la névrose, la division se trouve symbolisée par l’entremise du signifiant phallique, mais elle reste immaîtrisable ; tandis que pour le psychotique, la division se manifeste dans le réel, par l’entremise d’initiatives de l’Autre, génératrices des hallucinations aussi bien que des malveillances des persécuteurs. On sait que Lacan a souligné la fonction persécutrice du double psychotique. Dès son travail avec Aimée, il constate que ses persécutrices sont « les doublets, triplets et successifs « tirages » d’un prototype », à savoir le type de femme qu’elle-même rêve de devenir32. Quelques années auparavant, en 1919, Tausk avait déjà montré que l’appareil à influencer, dans la schizophrénie, représente une projection du corps du sujet dans le monde extérieur. Cela, écrivait-il, découle de manière univoque des déclarations de sa malade, Natalia, « l’appareil possède avant tout une forme humaine, qui, malgré les particularités qui l’en écartent, peut être reconnue sans la moindre hésitation et, fait le plus important, reconnue comme telle par la malade. Il a pris à peu près l’apparence de la malade. La malade éprouve toutes les manipulations de l’appareil aux endroits correspondants de son corps propre. L’appareil n’a plus d’organes génitaux depuis que la malade ne ressent plus de sensations sexuelles, et l’appareil avait des organes génitaux aussi longtemps que la malade était consciente de telles sensations »33. Qui plus est, Tausk note que l’appareil est une projection du corps propre, considéré dans son entier comme organe génital, ce qui ne signifierait rien d’autre, selon lui, que « Je suis tout sexualité »34. Il discerne ainsi finement que le surgissement du double persécuteur s’accompagne d’un envahissement de jouissance, rapporté par Lacan à la non-extraction de l’objet a.

La forclusion du Nom-du-Père produit une réduction du rapport à l’autre à la pure relation spéculaire. Cela se confirme tant dans la psychose que dans l’autisme. Cependant le double du psychotique est vécu comme un objet autonome et malveillant, sur lequel la volonté du sujet est impuissante à s’exercer, sauf à le détruire. Tel n’est pas le cas pour le double de l’autiste, rassurant quand il peut être maîtrisé, ou quand il est admis parmi les objets familiers.

Un frère ou une sœur constituent l’une des incarnations du double parmi les plus structurantes que puisse rencontrer un enfant autiste. On note alors bien souvent, quand ce partenaire est accepté dans son monde, l’étrange relation qui les unit. « Leur relation était certes belle, constate une mère à propos de ses deux enfants, l’un autiste, l’autre non, mais elle n’en restait pas moins excessive et ne leur apprenait pas réellement comment communiquer avec d’autres enfants. Leurs disputes étaient rares et se terminaient toujours quand le vainqueur tendait au vaincu le jouet objet du litige, avec des excuses. C’est un comportement qui ne se produit pas dans les relations habituelles entre enfants », souligne-t-elle pertinemment, si bien qu’elle savait pouvoir les laisser seuls, certaine qu’ils ne se chamailleraient pas et s’amuseraient mutuellement35. Gunilla Gerland, une autiste de haut niveau, met l’accent sur le fait que les autres enfants ne sont pas appréhendés par elle comme des rivaux. Sa manière de maîtriser le double n’est pas de l’avoir à sa main, mais de le tenir à distance. « Mon absence de jalousie, écrit-elle, pouvait en imposer aux autres enfants et me faire passer pour très sage et raisonnable. Je voyais bien comment les autres devenaient verts de jalousie dans certaines circonstances : sentiment que je ne connaissais pas. Certes, je pouvais souhaiter acquérir des objets, mais je ne prenais jamais la place d’autrui. Il ne m’arrivait pas de convoiter ce qu’un autre avait, ni de vouloir être un autre. Dans l’ensemble la teneur de mes envies s’écartait de celles des filles de mon âge.[…] La jalousie, je ne savais pas ce que c’était et ne pouvais pas me le représenter. Je n’avais jamais eu de pensée assez abstraite pour désirer me mettre à la place d’autrui. Quand je souhaitais des objets, mes désirs étaient tout à fait indépendants de ce que les autres souhaitaient ou pas »36.

Il faut souligner que la voix, comme le double, ne sont pas des données empiriques immédiates : l’une et l’autre sont des constructions du sujet. Mais elles ne sont pas du même ordre. La voix introduit le traumatisme de la langue dont elle est un effet ; c’est pourquoi elle doit être retenue. En revanche, la construction du double est apaisante. Initialement, le sujet autiste a un rapport transitiviste aux petits autres, comme aux objets. Alors le double est partout. Pour souligner l’absence de médiation, certains cliniciens font état d’une identification adhésive. À ce niveau de fonctionnement, le rapport à l’autre risque aisément de verser dans la violence ; c’est ce que décrivent les Lefort du rapport au double. Selon eux, pour le sujet autiste, « le monde est à détruire, ou bien le détruit ». Le double autistique apaisant n’advient que quand il est construit, sur un bord protecteur, qui localise la jouissance, et dont le sujet possède la maîtrise. Alors ce n’est plus un rival, mais un appui. Bettelheim le nommait « un moi auxiliaire ».

L’apprentissage ne suffit pas

Un large examen récent de la littérature scientifique internationale concernant les « interventions éducatives, pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme » aboutit au constat d’une extrême diversité et d’une grande hétérogénéité des méthodes employées. Il conclut qu’on ne peut « proposer actuellement d’algorithme thérapeutique simple et que les recommandations de bonne pratique ne reposent que sur un niveau de preuve très limité »37 – contrairement à la publicité faite par certaines.

Le constat d’incertitude qui se dégage des recherches en cours ne saurait faire obstacle à l’opinion aujourd’hui répandue selon laquelle la priorité serait de proposer aux autistes des stratégies éducatives évaluables. Ce postulat s’accompagne en règle générale d’une référence non interrogée à l’homme normal qui serait l’achèvement du processus éducatif. Des conséquences immédiates en découlent qui semblent l’évidence même : il apparaît nécessaire de s’opposer aux dites « obsessions » du sujet autiste, de même qu’il s’imposerait de le priver dès que possible de son objet autistique. Or, les monographies cliniques et les récits autobiographiques exclus de la littérature scientifique internationale sur l’autisme s’inscrivent bien souvent en faux à l’encontre de cette supposition.

Les parents de Derek Paravicini, en particulier sa « Nanny », ont fait dès sa première enfance tout ce que la plupart des spécialistes déconseillent, en favorisant ses « obsessions » pour la musique, et son attachement à un objet autistique, en l’occurrence un « orgue électrique », pourtant « à mesure que ses capacités musicales prirent de l’ampleur, constatèrent-ils, le lien entre celles-ci et son développement intellectuel et social devint de plus en plus marqué »38. Toutes ses acquisitions passèrent par le truchement de son îlot de compétence jusqu’à lui permettre, à l’âge adulte, non seulement de se produire en concert, seul ou avec un orchestre, mais aussi d’acquérir un sentiment de lui-même suffisant pour affirmer sa volonté, de manière appropriée, dans la conversation avec un étranger39. L’autonomie sociale de Tammet à l’âge adulte est plus marquée encore que celle de Paravicini, or lui aussi avait des parents « indulgents » à l’égard de ses « obsessions »40 ; de même Williams et Grandin ont pu se consacrer à leurs « obsessions » et cultiver leur attachement à leurs objets autistiques. Dès lors, on peut légitimement se demander si le fait d’avoir échappé à une prise en charge par des spécialistes de l’autisme n’a pas été pour eux une chance.
On sait que Kanner n’était pas loin de se poser la même question en considérant le devenir des onze enfants de son article princeps vingt-sept ans après la parution de celui-ci. Deux d’entre eux étaient parvenus à échapper aux institutions de soins et à s’intégrer socialement, or il est manifeste qu’une éducation permissive et la culture de leurs « obsessions » les avait beaucoup aidés. En ce qui concerne Donald, quand il atteignit neuf ans, ses parents le placèrent dans une ferme distante d’environ 10 miles de chez eux. « Une assistante sociale qui vint le visiter trois ans plus tard fut « surprise de la sagesse » du couple qui s’occupait de lui. Bien loin de l’avoir « cadré » par des apprentissages systématisés, ils avaient réussi « à donner des buts à ses stéréotypies ». Il lui avait fait « utiliser sa préoccupation des mesures en lui donnant un puits à creuser dont il mesurait la profondeur. Quand il se mit à collectionner des oiseaux morts et des insectes, ils lui ont donné un endroit pour faire un « cimetière » et lui ont fait mettre des marques ; sur chacune d’elles il écrivait un premier nom, l’espèce de l’animal comme nom du milieu et en dernier le nom du fermier comme ceci : « Jean – escargot – Lewis. Né, date inconnue, mort (date à laquelle il avait trouvé l’animal) ». Quand il s’est mis à compter sans fin les rangs de maïs, ils les lui ont fait compter pendant qu’il les labourait. Pendant ma visite, note l’assistante sociale, il a labouré six longs rangs, il était remarquable de voir comment il maniait le cheval et la charrue, et faisait tourner le cheval. Il était évident que M. et Mme Lewis l’aimaient beaucoup et tout aussi évident qu’ils étaient gentiment ferme avec lui. Il fréquentait une école de campagne où ses particularités étaient acceptées et où il a bien progressé sur le plan scolaire »41. À l’âge de 36 ans, il travaillait comme caissier dans une banque, jouait au golf, possédait une voiture, etc. Quant à Frédéric, à 34 ans, il était employé dans un bureau, effectuant un travail routinier en rapport avec des machines à dupliquer ; or, selon Kanner, il avait bénéficié d’un aménagement de ses conditions de vie similaire à celui dont avait profité Donald : dans le cadre des Écoles Devereux, Frédéric avait été « intégré petit à petit à des objectifs de socialisation par le biais de ses aptitudes à la musique et à la photographie »42.
Le devenir des neuf autres enfants observés par Kanner en 1943 fut beaucoup moins favorable. « On ne peut s’empêcher, écrit-il à la suite de ce constat, d’avoir l’impression que l’admission à l’hôpital d'État a été l’équivalent d’une condamnation à vie : avec la disparition des étonnants faits de mémoire automatique, l’abandon du combat pathologique antérieur, mais actif, à maintenir l’immuabilité, la perte d’intérêt pour les objets ajoutée à la pauvreté fondamentale de la relation à autrui – en d’autres termes, un retrait total vers le quasi-néant »43. Un savoir essentiel est là à portée de main sur la thérapeutique de l’autisme. Kanner note que l’immuabilité et l’intérêt pour les objets témoignent d’activités psychiques précieuses, que leur suppression conduit les sujets vers le quasi-néant. À l’inverse, Donald et Frédéric mettent en évidence le profit qu’un autiste peut tirer de ses « obsessions » et de ses îlots de compétence. Or, ce savoir va être rapidement recouvert par des sédiments superposés d’études du développement, centrées sur l’idéologie de l’homme normal, censé n’avoir ni attachement excessif à des objets, ni comportement d’immuabilité. Ou pire encore, des approches biologiques viendront suggérer que ces enfants-là sont trop atteints pour que leurs bizarreries méritent attention et puissent posséder une fonction. Les spécialistes ne sont pas prédisposés à admettre que des « malades » puissent avoir un savoir digne d’intérêt sur leurs troubles. Birger Sellin en a fait la cruelle expérience : son témoignage ne concordant pas avec les savoirs dominants sur l’autisme, une campagne de presse a cherché à mettre en cause l’authenticité de ses écrits. Une des raisons de l’acharnement de certains contre l’utilisation de la communication facilitée avec les autistes44 puise aux mêmes sources : le discours de la science ne fait pas bon ménage avec la singularité du sujet, de sorte qu’il ambitionne toujours de le faire taire.

En fait, les réussites les plus hautes dans le fonctionnement social de sujets autistes n’ont pas été obtenues par l’application de techniques d’apprentissage, ni par des cures balisées par des étapes de développement, mais par la voie de démarches singulières, d’une grande diversité, dont la progression n’a pas été bloquée par le savoir des soignants sur l’autisme.
Il n’y a pas que les psychanalystes pour avoir saisi que la meilleure aide qui puisse être apportée au sujet autiste n’est pas celle des techniciens du psychisme, mais celle d’éducateurs ou de thérapeutes capables d’effacer leurs a priori pour faire place aux inventions de l’autre. À cet égard, la thérapie par le jeu d’inspiration rogérienne effectuée par Virginia Axline avec Dibs peut être donnée en exemple. Elle n’aborda pas la cure en sachant d’avance le parcours qu’aurait dû effectuer son patient, bien au contraire elle s’efforça de ne rien lui dire qui eût pu indiquer un désir de sa part de le voir faire quelque chose de particulier. Elle se contentait de communiquer avec lui, en n’essayant pas de pénétrer de force dans son monde intérieur, mais en cherchant à comprendre la spécificité de son système de références. « Je voulais, écrit-elle, que ce fût lui le guide. Je voulais simplement le suivre ». Elle avait pour souci qu’il n’ait pas le sentiment d’avoir l’obligation de lire dans les pensées de sa thérapeute afin de lui proposer une solution déjà préalablement conçue pour lui. Elle avait l’audace de penser que tout « changement significatif » devait venir du sujet lui-même45. L’application de cette méthode la conduisit à l’une des réussites les plus éclatantes en matière de thérapie d’un sujet autiste. Ce témoignage remarquable, mondialement connu dans les années 1960, n’entre plus aujourd’hui dans le cadre méthodologique du discours scientifique. Il a pourtant bénéficié de conditions exceptionnelles puisque toutes les séances en ont été intégralement enregistrées. Qu’importe : la revue de la littérature mondiale sur l’autisme évoquée plus haut ne connaît pas son existence. L’expérience d’Axline, nous suggère-t-on ainsi, doit être maintenant considérée comme nulle et non avenue.

Encore son sort est-il enviable par rapport au déferlement de critiques posthumes adressées à l’un de ses contemporains qui partageait son souci d’apprendre des autistes et qui témoigna peu après elle de résultats thérapeutiques plus remarquables encore. En créant le premier lieu spécialement conçu pour eux, en prônant leur accompagnement dans un parcours non tracé par avance, et en ne s’embarrassant pas de préjugés sur les « obsessions » et les objets autistiques, Bruno Bettelheim a rendu possible la stabilisation et la socialisation de nombreux sujets passés par l'École orthogénique de Chicago. Joey a pu en témoigner. De même que Stephen Eliot. Certes, ce dernier, aujourd’hui banquier d’affaires, diplômé de Yale et de Columbia, n’était pas autiste, il présentait néanmoins de sévères troubles mentaux. Il ne brosse pas un portrait idyllique de Bettelheim, autoritaire, parfois violent, quelque peu imbu de lui-même, mais il se montre indulgent pour ses faiblesses, car il avait construit une École dont les structures avaient été pensées en fonction des enfants46, et parce qu’il affirmait que « pour comprendre un enfant, il fallait voir le monde de son point de vue à lui »47. Une mère d’enfant autiste, qui vantait une méthode d’apprentissage sur un site internet, adoptait exactement la position inverse, en notant que depuis qu’elle avait découvert celle-ci elle pouvait enfin « contrôler » son enfant. Tout indique pourtant que ce « contrôle » est l’un des obstacles majeurs que rencontrera l’enfant pour s’autonomiser. Eliot sait de quoi il parle quand il note que la marque des grands éducateurs, ceux qu’il a rencontrés à l’École orthogénique, était d’être « capables de voir en [eux] des personnes à part entière »48, ce qui implique de leur prêter un savoir et de faire confiance à leurs inventions.
Les méthodes d’apprentissage partent de l’hypothèse inverse : il s’agit de transmettre un savoir dont le sujet est démuni, ses « obsessions » et ses inventions sont alors appréhendées comme des parasites qui font obstacle à la tâche. Leur fonction de protection contre l’angoisse étant méconnue, certaines techniques deviennent des violences faites au sujet. Faute d’être entendus, beaucoup d’autistes finissent par se résigner à ce qu’on leur impose ; en revanche, quand le sujet possède les moyens de s’exprimer, il s’en insurge. Ainsi, Williams ne cache pas sa révolte en présence de certaines techniques éducatives. Dans les années 1990, elle fit un stage en Australie dans une maison spécialisée pour enfants en difficulté. Elle y observa deux éducateurs zélés dans leur travail avec une autiste. Elle fut frappée par leur méconnaissance du monde intérieur de l’enfant. « J’étais malade, écrit-elle, de les voir envahir son espace personnel avec leur corps, leur haleine, leurs odeurs, leurs rires, leurs mouvements et leurs bruits. Quasiment fous, ils agitaient des hochets et des objets devant elle comme deux sorciers trop zélés espérant exorciser l’autisme. Selon eux, apparemment, il lui fallait une overdose d’expériences que leur infinie sagesse « du monde » savait lui apporter. S’ils avaient pu utiliser un levier pour forcer l’ouverture de son âme et la gaver « du monde », ils l’auraient sans doute fait sans même remarquer la mort de leur patient sur la table d’opération. La petite fille criait et se balançait, se bouchant les oreilles avec ses bras pour amortir le bruit et louchant pour occulter le matraquage de la détonation visuelle. J’observais ces gens, souhaitant qu’ils connaissent eux aussi l’enfer des sens. J’observais la torture d’une victime qui ne pouvait pas se défendre dans un langage compréhensible. […] Ces chirurgiens opéraient avec des outils de jardinage et sans anesthésie »49. Sans doute s’inspiraient-ils d’une méthode classique d’apprentissage, qui consiste à présenter un stimulus en séquences répétées, puis à observer la réponse de l’enfant, et à donner une conséquence pour la renforcer ou l’inhiber. C’est une application systématique de ces principes qui est prônée par la méthode Lovaas. Cela pendant deux ans, à raison de 40 heures par semaine, avec des enfants dont le consentement n’est pas recherché, bien que l’on sache que pour la plupart ils ressentent les demandes comme intrusives et menaçantes
Lorsque Sacks dans les années 1990 visite aux USA une maison spécialisée dans l’éducation des autistes, plus inspirée par la méthode Teacch, il constate que beaucoup ont appris à fonctionner tant bien que mal, mais il ne peut se départir d’un certain malaise. « Ils parvenaient, écrit-il, formellement ou extérieurement au moins, à se plier à certaines conventions sociales – mais la formalité ou l’extériorité de leurs comportements étaient déconcertantes en tant que telles. L’artificialité des ces adaptations m’avait frappé notamment un jour où j’avais visité une école. Les enfants qui s’y trouvaient m’avaient débité, d’une voix forte mais totalement dépourvue de modulations et tout en me tendant une main rigide : « Bonjour, je m’appelle Peter… je vais très bien merci comment allez-vous », tout cela sans ponctuation ni intonation – un peu comme s’ils récitaient une litanie désincarnée. L’un ou l’autre de ces jeunes gens, m’étais-je demandé, réussirait-il jamais à devenir autonome ? »50 Il ne suffit pas en effet de leur faire acquérir des connaissances, ce à quoi se prêtent leurs bonnes capacités de mémorisation, encore faut-il leur donner la possibilité de les intégrer. « Comme des fichiers informatiques, note Williams à propos du fonctionnement des autistes, on peut mentalement mémoriser des jeux d’émotions, les extraire et les interpréter. Le jeu n’en est pas pour autant lié à un sentiment réel et on ne comprend pas nécessairement l’émotion représentée, hormis le simple mécanisme du mode et parfois du moment de son imitation »51. Il est nécessaire de souligner fortement qu’un apprentissage authentique se distingue d’un dressage : il ajoute à l’acquisition d’un comportement l’assimilation par le sujet de son sens. Tout indique que cela ne peut être obtenu avec un autiste qu’à certaines conditions, l’une d’entre elles étant de respecter l’appui qu’il doit prendre sur un double pour s’approprier un savoir, or il n’accepte pas que cette fonction lui soit imposée. Pour être en mesure de tenir la place du double d’un autiste, il faut parvenir à ce que celui-ci vous accueille en son monde.

« Les cognitivistes, note pertinemment J. Berger, ont apporté des outils de travail utiles au quotidien, mais leur tentative d’explication globale erronée a encouragé des pratiques rigides appuyées sur l’idée de rééducation. Sans tenir compte du sujet pensant, même s’il s’agit d’un sujet pensant de travers. Il y a ce postulat de normalité qui est normatif donc asséchant d’un point de vue créatif, voire dangereux quand il est dominant. […] Chaque apprentissage s’effectuait par une séquence de gestes décomposés que les enfants apprenaient toujours à faire dans le même ordre, chaque mouvement, purement mécanique, étant privé de sens et de désir. Pas si loin du dressage d’un animal […] de telles attitudes me paraissent tout l’inverse de celles qu’il faut adopter avec les enfants autistiques, car elles sont de nature à renforcer leur désinvestissement du monde. Porteurs d’une violence dont ils ne saisissent pas le sens, que peuvent-ils comprendre de la violence en retour, hormis la peur, qui les coupe encore un peu plus d’autrui ? C’est l’inverse d’une expérience émotionnelle correctrice. Quant aux apprentissages que je qualifierais de « stéréotypés » – toujours les mêmes pour tous les enfants, selon un rythme et un séquençage imposé par un adulte –, que produisent-ils d’autre, pour ceux qui les subissent, que le sentiment d’être un objet ? Ces méthodes coercitives me paraissent à bannir, quel que soit l’enfant »52.

Certes, les méthodes d’apprentissage invoquent en leur faveur des statistiques éloquentes attestant de leur efficacité. Sans entrer en d’interminables discussions sur leurs interprétations et sur ce qui est réellement saisi par les chiffres, soulignons surtout qu’il est incontestable que des résultats au moins équivalents peuvent être obtenus par d’autres méthodes plus respectueuses du sujet. À s’en tenir au seuls récits de mères qui sont parvenues, par des méthodes empiriques d’inspirations différentes, à sortir leur enfant du retrait autistique, il apparaît clairement que les améliorations obtenues par la douceur et le jeu ne sont moindres que celles acquises par la violence et la coercition.

Quand les Copeland découvrent dans les années 60 que recourir aux « caresses-récompenses et aux claques-punitions » avec leur fille améliore nettement son comportement, ils croient avoir trouvé la clef si longtemps recherchée du traitement de l’autisme. « Ils essayèrent donc de lui faire toucher tous les objets devant lesquels elle avait témoigné de la terreur. Et ils étaient innombrables. La première fois, elle hurla de toutes ses forces et à bien des reprises, la démarche parut impossible. Mais enfin, ils la tinrent solidement par le poignet et lui administrèrent une correction à chaque tentative de résistance. Puisque telle était la méthode adoptée, il fallait la suivre. Et, effectivement, au cours de semaines épuisantes, les réticences de Anne fondirent nettement »53. Or, les améliorations obtenues plus récemment par Anne Idoux-Thivet avec son fils ne furent pas moindres, pourtant elle s’est toujours refusée à « user du bâton et de la carotte », pratiquant une « ludothérapie » orientée par les réactions, les angoisses et les manifestations de la curiosité de son enfant54. Bref, le rapprochement de ces deux témoignages opposés atteste que ce qui peut être obtenu par la violence peut l’être mieux encore par le jeu. La cure de Dibs opérée par V. Axline, en s’appuyant sur les jeux de l’enfant accompagnés dans une approche non directive, l’avait établi dès les années 1960.

Une autre mère d’enfant autiste, Hilde de Clercq, considérant la diversité des méthodes, aboutit à la constatation suivante, à laquelle on ne peut que souscrire : « il est bien plus agréable, pour tout le monde, de suivre la façon de penser de ces enfants et de rester positif, que de leur imposer de s’adapter et d’être confrontés constamment à des problèmes de comportement. La meilleure stratégie pour éviter des problèmes de comportement est de les anticiper »55. Or, pour ce faire, il est incontournable de prendre en compte leurs manières de lutter contre l’angoisse.

La méthode ABA se borne pour l’essentiel à l’approche des comportements qu’elle s’emploie à normer sans chercher à pénétrer leurs fonctions et sans se préoccuper de la vie affective. En revanche, le programme TEACCH s’appuie sur une fine connaissance du fonctionnement cognitif de l’autiste, et met en place des techniques qui en tiennent compte, mais dans cette perspective, la vie affective et le travail de protection contre l’angoisse restent impénétrables. L’approche psychanalytique de l’autiste est plus heuristique parce qu’elle ne fait l’impasse sur aucun domaine de fonctionnement de l’être humain : elle est la seule capable de proposer une compréhension, non seulement du fonctionnement affectif, mais aussi des conséquences de celui-ci sur le cognitif. Elle est la seule à pouvoir rendre compte de la fonction de l’objet autistique, du primat du signe et de l’étrangeté de l’énonciation. Elle est la seule à pouvoir dégager, derrière la diversité des comportements, ce qu’il y a de constant dans l’autisme. Bref, elle s’appuie sur une connaissance de l’ensemble de la subjectivité (certes partielle et provisoire), tandis que la méthode ABA réduit l’enfant à ses comportements, et que le programme TEACCH ne saisit du sujet que sa conscience cognitive. Les approches qui prennent en compte la subjectivité ont des conséquences majeures pour le traitement : en ne se focalisant pas sur une partie du fonctionnement du sujet, elles ne font pas obstacle à une écoute non restrictive de ce qu’il exprime, dès lors elles permettent de s’appuyer sur ses inventions propres. En outre, elles valorisent l’enfant autiste qui n’est pas d’emblée appréhendé comme un débile manipulateur mais comme un enfant intelligent entravé par ses angoisses.

La riche expérience collectée en des institutions dont les méthodes puisent leurs sources dans l’approche psychanalytique incite clairement à constater qu’un sujet autiste « apprend souvent et parfois mieux par la tangente que lorsqu’il est confronté directement, et sans échappatoire possible, à la tâche en question. Même s’il a l’air absent, il observe et apprend par l’intermédiaire des autres enfants et pourra ensuite reproduire ce qu’il a vu faire par d’autres »56. Dès lors, à l’Antenne 110 de Bruxelles, dans les autres institutions du RI357, comme en celles pour lesquelles la découverte freudienne constitue une orientation majeure, le travail avec le sujet autiste cherche, non pas à appliquer à tous une technique pré-déterminée, mais à inventer pour chacun une manière de faire. « Nous partons de l’enfant tel qu’il est, affirme-t-on en ces lieux, avec ses potentialités et ses incapacités, mais aussi avec son objet privilégié – cela peut être un bâton, une ficelle, un circuit, Walt Disney, etc. – et nous inventons des outils, des stratégies pour étendre, déplacer, généraliser ce centre d’intérêt privilégié et amener progressivement l’enfant vers un processus d’apprentissage. De ce fait, l’attention et l’intérêt de l’enfant sont suscités par le travail demandé, qui devient donc motivant en soi et source de satisfactions »58. Un exemple clinique simple, relatant une observation maintes fois réitérée en de tels lieux, illustre leur expérience quotidienne. « À son arrivée à l’Antenne, Hubert n’était absolument pas prêt à intégrer un apprentissage pédagogique : dans la classe de logopédie, il ne répondait pas aux questions, n’écoutait pas les consignes, ne dévoilait rien de ce qu’il savait. Il tenait toujours à la main un bâton, objet préférentiel auquel il imprimait sans cesse un battement. Plutôt que de donner à ce comportement le statut restreint d’une simple stéréotypie dysfonctionnelle à éliminer d’emblée, nous avons fait l’hypothèse que cet intérêt pour un bâton avait une fonction et nous l’avons, dès lors, utilisé comme point de départ d’un travail individualisé. C’est ce qui a permis à Hubert de s’intéresser ensuite au battant de la cloche de l'Église de Genval, puis aux deux aiguilles de l’horloge de cette même église, ce qui lui a donné l’envie d’apprendre à lire l’heure et pour cela d’apprendre les chiffres avec la logopède, d’abord de 1 à 12 (cadran de l’horloge), puis de 13 à 24 (24 heures du jour), puis jusqu’à 60 (60 minutes par heure), etc.

Dès lors, les ateliers qui, durant quelques semaines, ont eu pour but d’aller examiner église, cloche et horloge ont permis de tracer un chemin depuis l’objet préférentiel de l’enfant jusqu’à l’apprentissage des chiffres, puis des lettres et ont fait naître de surcroît chez lui un goût, une motivation pour l’apprentissage pédagogique. »59

L’apprentissage consenti mobilise une dynamique subjective qui, dans l’apprentissage contraint, fait défaut ou s’exerce à l’encontre du travail. Certes, on ne saurait douter qu’en règle générale les techniques d’apprentissage contraint parviennent à améliorer le QI du sujet et ses capacités cognitives. Malgré leur diversité, toutes s’avèrent relativement efficaces sur ce point. Elles contribuent aussi à l’acquisition de compétences sociales, parfois inculquées sans ménagement. Cependant la question majeure posée par les méthodes purement éducatives de traitement de l’autisme est bien celle que soulève Sacks : quel gain en autonomie ? Il est manifeste que celui-ci n’est pas étroitement corrélé à l’amélioration cognitive. Ceux qui sont parvenus à franchir un pas décisif à cet égard témoignent que l’autonomie résulte d’un choix qui ne s’enseigne pas. Elle n’advient que par une décision majeure qui produit une mutation subjective ; et pour cela il est nécessaire que cette décision ne soit pas entravée par l’entourage. Il convient non seulement que le sujet autiste accepte de prendre le risque de lâcher sur sa maîtrise du monde, mais il faut aussi qu’il ne soit pas confronté à un Autre surprotecteur qui y fasse obstacle. Certains autistes de haut niveau s’emploient à le faire savoir : « les bienfaits du recours aux aides scolaires ne sont pas une évidence, affirme Jerry Newport, et plus tôt votre enfant pourra s’en passer, mieux ce sera. Au plan social, ils donnent le baiser de la mort. Je vois comme les parents ne cessent de revenir sur la question des études. Parce qu’elle est simple et prévisible en comparaison de celle du développement social »60. À l’instar de tant d’autres, il a constaté que les acquisitions scolaires ne s’accompagnent pas nécessairement d’un gain en indépendance.

Ceux-ci n’adviennent que d’actes décisifs dont le sujet doit prendre la responsabilité. Pour Williams, ce fut d’abord d’accepter le risque de révéler son monde intérieur, en publiant son premier livre. Elle témoigne que ce fut pour elle une épreuve qui n’alla pas sans angoisse ; tandis que Grandin n’hésita pas non plus à prendre des risques pour s’ouvrir au monde, elle relate précisément comment sa quête d’autonomie fut scandée par des choix concrétisés par le franchissement de portes symboliques. Un tournant dans l’existence de Tammet se produisit de même quand il prit la décision « à la fois effrayante et très excitante » de partir à l’étranger.

Daniel Tammet resta longtemps très dépendant de sa famille, mais quand il atteignit dix-huit ans, à la fin de ses études secondaires, il éprouva le sentiment de devoir faire quelque chose pour s’évader de sa chambre d’enfants. Il souhaita alors aller travailler dans un autre pays en répondant à une annonce de recrutement de personnes intéressées par du volontariat. Il en parla à ses parents. Ceux-ci doutèrent de la pertinence de son projet, mais au lieu de le considérer comme un handicapé trop vulnérable, au lieu de se précipiter à l’en dissuader, ils prirent le risque de ne pas décourager son initiative61. De manière quelque peu inattendue, Tammet parvint à franchir la sélection, si bien qu’il se trouva affecté à Kaunas en Lituanie pour une mission d’un an. Ses parents s’inquiétèrent : leur fils allait-il être capable de vivre si longtemps loin de leur maison ? Mais Daniel tint à faire ce qu’il considérait « comme un grand pas en avant dans [sa] vie ». Il fut ravi d’aller enseigner l’anglais à des étrangers. « J’éprouvais de l’angoisse, bien sûr, à l’idée de ce voyage, écrit-il. Je me demandais également si j’allais ou non donner satisfaction, à ce poste. Mais il y avait autre chose aussi : l’excitation de prendre finalement en charge ma vie et mon destin. Cette pensée-là me coupait le souffle. »62

À presque vingt ans, il n’hésita pas à faire un saut dans l’inconnu, il rompit avec son monde sécurisé, il prit le risque de poser un acte dont les conséquences n’étaient pas calculables. Malgré sa « différence », il s’adapta fort bien à son travail et à la vie en Lituanie. Il s’y fit quelques amis parmi les femmes qui assistaient à ses cours. Il s’y trouva en mesure de prendre une nouvelle décision majeure, en rupture avec ses attitudes conformistes antérieures, par quoi se confirma une modification de sa position subjective. Il osa téléphoner à une association gay. « Ce coup de fil, écrit-il, fut l’une des décisions les plus importantes de ma vie »63. Ce fut le premier pas sur la voie d’une acceptation de son homosexualité. Il l’assuma quelques temps après son retour en Angleterre en vivant avec Neil rencontré par Internet. Ses parents ne s’y opposèrent pas. Dès lors, Tammet estime à juste titre que le soutien de sa famille a été « l’une des raisons principales de [son] succès dans la vie »64. Il convient en effet de souligner que ce fut un soutien éclairé, acceptant une prise de risque, laissant une place au non savoir, dès lors capable de parier sur la responsabilité du sujet. Ils ont ainsi mis en place les conditions permettant à leur fils d’opérer une mutation subjective décisive, en rompant avec la sécurité d’un monde routinier, afin d’accéder à l’une des stabilisations de l’autisme parmi les plus réussies.

Une grande clinicienne telle que Mira Rothenberg savait elle aussi qu’il fallait laisser Peter décider « quand et comment ne pas avoir peur », ainsi que du moment où « il devait se séparer [d’elle], de sa mère et de son foyer ». C’est à cette condition que ce sujet présentant un sévère tableau d’autisme infantile parvint à vingt-huit ans à travailler comme coursier, en vivant dans un centre d’accueil pour jeunes adultes, tout en ayant une vie sociale, des amis, et en faisant des études65.

Certains cliniciens, inféodés à une théorie déficitaire de l’autisme, et il s’en rencontre aussi parmi les psychanalystes, affirment que les enfants autistes qui deviennent des adultes indépendants ne sont plus des autistes. Ils le soutiennent au nom d’a priori que la clinique infirme, quand on constate le passage de l’autisme de Kanner à celui d’Asperger, et à l’encontre de l’opinion des principaux intéressés. Williams s’exprime nettement à ce propos : « Certains estiment que des autistes peuvent se débarrasser de l’autisme, qu’ils peuvent guérir (et ceux qui ne voient aucun « remède » à l’horizon abandonnent) ». Rappelons en effet que toute conception purement biologique de l’autisme risque d’induire auprès des équipes soignantes un défaitisme thérapeutique. « En cas de « guérison », poursuit Williams, certains décident qu’il y a eu erreur de diagnostic. D’autres enfin considèrent que les seuls véritables autistes sont les incurables ». Son expérience ne la conduit pas à partager de telles approches. Elle considère l’autisme comme un mode de fonctionnement original qu’il s’agit de prendre en compte et de respecter. « À mon avis, écrit-elle, les autistes disposent de tout un éventail de conscience sociale, d’aptitudes linguistiques et de lacunes ou d’excès sensoriels et perceptuels. Des contextes donnés permettent d’arrondir les angles ou de produire des robots. La « réussite » de quelques autistes peut même faire penser qu’ils ne le sont pas. Je ne crois pas qu’il soit possible d’enseigner à des autistes l’expérience de tout ce qu’ils peuvent réaliser. Vous ne pouvez pas leur faire ressentir des émotions pour leurs images, leurs « visages », leurs comédies et leurs répertoires comme s’il s’agissait d’une véritable expression personnelle. Le sentiment inspire l’action. L’inverse revient à analyser les sentiments qu’une personne pourrait ressentir pendant l’action. Vous pouvez trouver l’idée d’un sentiment : il ne deviendra pas pour autant le vôtre. Une idée n’est jamais un sentiment, simplement le souvenir ou le répertoire mental mémorisé de son impression. On ne peut pas tout faire à l’envers […]. Je pense toutefois que, même si vous réussissez pleinement à défigurer les diverses expressions qui peuvent être extraites en fonctionnant à l’envers, le système demeure autistique »66. Les constats de Williams orientent nettement vers des traitements qui sachent prendre en compte l’affectivité du sujet autiste et sa capacité à mobiliser ses propres ressources créatives pour construire des modes de stabilisation qui lui soient propres.

Une approche purement éducative de l’autisme, reposant sur le savoir de l’enseignant, sans faire place à la subjectivité, et à ses choix, améliore certes en règle générale le comportement social, mais ne permet guère d’obtenir une capacité à prendre en compte le manque de garantie de l’Autre avec quoi tout sujet doit composer pour accéder à une certaine autonomie et se sentir responsable de ses actes. Dès lors, il n’est pas vrai, comme l’écrit un rapport récent sur les interventions proposées aux autistes, qu’il y ait un consensus sur la nécessité d’interventions construites « sur des objectifs hiérarchisés et spécifiques reposant sur une évaluation fonctionnelle »67. Il est cependant exact qu’il s’agit d’une opinion répandue.

Aussi utiles et bien intentionnées soient-elles, les méthodes d’apprentissage rencontrent des bornes. Leur efficacité, constate le rapport Baghdadli, est généralement limitée à l’acquisition d’une compétence spécifique ciblée par l’intervention étudiée, de sorte qu’elle n’implique pas un changement significatif du fonctionnement de la personne qui bénéficie de l’intervention68. Il n’y a pas lieu de douter de ce constat. Or, trop d’études s’y arrêtent, ne laissant guère d’espoirs sur le devenir des enfants autistes. Leur refus méthodologique de prendre en compte les monographies cliniques, et les biographies d’autistes, qui recèlent un savoir permettant de le dépasser constituent à l’évidence un obstacle épistémologique. « À trop regarder par la lorgnette de la toute-puissance scientifique, observe justement J. Berger, nos esprits gavés de certitudes désapprennent l’aléatoire humain et sa créativité »69.
Ce n’est pas aux études randomisées permettant une évaluation scientifique impeccable auxquelles il convient de demander en premier lieu comment y faire pour traiter l’autisme ; ce sont les sujets concernés qui ont le plus à nous apprendre. Ils possèdent un savoir précieux sur eux-mêmes. Certains autistes de haut niveau sont capables et désireux de nous enseigner ce que serait « la meilleure approche » pour les aider. Prenons au sérieux les conseils donnés par Jim Sinclair aux parents, tout aussi pertinents pour les éducateurs et les cliniciens : « nos manières d'entrer en relation, affirme-t-il au nom des autistes, sont différentes. Insistez sur les choses que vos attentes considèrent comme normales, et vous rencontrerez de la frustration, de la déception, du ressentiment, peut-être même de la rage et de la haine. Approchez respectueusement, sans préjugés, et ouverts à apprendre de nouvelles choses, et vous trouverez un monde que vous n'auriez jamais pu imaginer »70. Une autiste mutique cultivée telle que Annick Deshays se montre tout aussi véhémente pour revendiquer une prise en charge des autistes qui ne fasse pas l’impasse sur leur singularité : « Pourquoi faire des palabres sur des écrits officiels concernant la prise en charge des personnes autistes si les intéressées elles-mêmes n’ont pas droit aux informations, encore moins à la parole ? »71 écrit-elle sur son ordinateur. Elle s’oppose aux méthodes éducatives qui dressent a priori le programme des étapes du développement à franchir : « Dresser un plan scientifique d’éducation avec les autistes, de manière uniforme et unilatérale, dispense un régime de protectrice dictature, affirme-t-elle. […] Il prime d’abord de trouver la faculté (ou les facultés) de chaque personne autiste avant d’établir une démarche éducative ». Elle considère que « faire du comportementalisme c’est inciter à nous rendre « facile » par un formatage réduisant notre liberté d’expression ; c’est durcir notre grave problème d’identification et d’humanisation ». Elle cherche à se faire entendre auprès des spécialistes pour faire passer le message suivant : « Dire aux décideurs, dès aujourd’hui, que penser pour nous risque de vider la « substantifique moëlle » de notre raison d’exister »72. À l’encontre de ces méthodes, elle prône « le risque d’un dialogue », la volonté d’« apprivoiser la peur isolante », elle invite même à chercher à « goûter les traits humoristiques propres » à la manière des autistes de « visionner la vie », tout cela, ajoute-t-elle, « oblige à travailler plus en unicité qu’en uniformité, plus en relation duelle qu’en propos unilatéraux ». À l’instar de la plupart des autistes de haut niveau, elle demande à être considérée comme un sujet capable d’une créativité qu’il convient de prendre en compte : « Hisser nos connaissances selon notre bon vouloir, souligne-t-elle, déploie un potentiel qui nous est propre ».
Donna Williams corrobore ces indications et n’hésite pas à s’engager fortement, « la meilleure approche », écrit-elle, ce serait « celle qui ne sacrifierait pas l’individualité et la liberté de l’enfant à l’idée que se font de la respectabilité et de leurs propres valeurs les parents, les professeurs comme leurs conseillers »73. Même Temple Grandin confirme : « … les personnes qui m’ont le plus aidée ont toujours été les plus créatives et les moins attachées aux conventions »74. Accordons à Sinclair, Deshays, Williams, Grandin et tant d’autres autistes qu’ils savent de quoi ils parlent et prenons au sérieux leurs indications.

Le traitement des autistes doit certes être averti de la spécificité de leurs facultés cognitives, ce que des méthodes telles que le programme TEACCH savent intégrer, mais il doit de surcroît prendre en compte la spécificité de leur vie affective, ce sur quoi seule la psychanalyse s’est avérée capable d’apporter une ouverture. L’autiste incite spontanément les cliniciens à faire ce que constate Lacan quand il commente la pratique de M. Klein avec Dick : l’autiste demande une greffe de symbolique75. Cependant elle ne peut prendre, c’est-à-dire être assumée par le sujet, qu’à la condition de ne pas méconnaître l’originalité de son mode de jouissance, qui se fonde sur un bord dynamique – notion ignorée des méthodes d’apprentissage.

Quand le sujet autiste est placé dans des conditions où ses inventions et ses îlots de compétences sont valorisés, et non tenus pour des obstacles à son développement, quand le choix de ses doubles et de ses objets est respecté, il s’avère possible pour lui, non pas de sortir de l’autisme, mais de son monde immuable et sécurisé, ce qui lui ouvre un accès à la vie sociale. Alors seulement peut advenir une mutation faisant de l’autiste un sujet responsable et assumant pleinement son devenir.
Applaudissements.

Période de questions

Jean-Marc Duru : Merci beaucoup pour ce riche exposé. Je vais donner la parole au public. Est-ce qu'il y a des questions sur ces propos ? J’imagine qu’il y en a quelques unes ? Est-ce que quelqu'un veut s'engager pour la première question ?

Hélène Colas-Charpentier : C'est une question qui n'est pas très structurée. Vous parlez beaucoup de l'angoisse des autistes, mais qu'est-ce qui fait la possibilité de ce sentiment-là par rapport à d'autres sentiments comme le plaisir ? Enfin, comment placez-vous l'angoisse par rapport au reste de l'affectivité ?

Jean-Claude Maleval : Qu'est-ce que l'angoisse ? C'est une question bien difficile. Lacan dit que l'angoisse est un affect qui ne trompe pas, lié à l'émergence de l'objet ou à la présence de l'objet. Freud évoquait déjà le fait que lorsqu'on est angoissé, on le sait, on n'a pas de doute là-dessus. Les sujets autistes le disent : la plupart affirment que le pire pour eux, c'est l'angoisse. Cette souffrance psychique qu'ils ressentent... Ils n'ont pas de doute sur le fait qu'ils ressentent quelque chose d'extrêmement pénible et qui n'est pas lié à des circonstances particulières, qui n’est pas une peur par exemple. La peur est liée à des circonstances tout à fait définissables ; alors que l'angoisse, ça vous tombe dessus bien souvent sans raison ; et ce que peut dire le sujet, c'est qu'il l'éprouve, il sait qu'il l'éprouve.

Hélène Colas-Charpentier : Ma question n'était pas vraiment : « Qu'est-ce que l'angoisse ? » parce que bien sûr je sais un peu ce que c'est... Je voulais savoir pourquoi les autistes ne peuvent-ils pas éprouver un sentiment de plaisir avec quelqu'un ou de joie dans un contact. Est-ce bien cela que vous vouliez dire ?

Jean-Claude Maleval : Eh bien non... Non, bien entendu, ils ne sont pas toujours angoissés. Ils sont comme chaque sujet... Il y a une angoisse dont ils se défendent d'une manière spécifique.
La névrose est une manière de se défendre contre l'angoisse, la psychose aussi. Toute la psychopathologie se réduit à la manière de se défendre contre l'angoisse. On se défend avec le fantasme dans la névrose ; avec un fétiche dans la perversion ; avec un délire, par exemple, dans la psychose.
Les autistes, eux, se défendent avec un bord, essentiellement. C'est ça qui est spécifique, mais bien entendu, je ne prétends pas que les autistes, pas plus que les névrosés ou les psychotiques, soient toujours angoissés. Si on les laisse dans leur monde sécurisé et immuable, ils ne sont pas du tout angoissés. Ils sont même tout à fait à l'aise. Si on les laisse utiliser leurs défenses, ce ne sont pas des sujets particulièrement angoissés. Seulement, dès qu'ils sont confrontés à la demande de l'Autre, dès qu'on leur retire leur objet, dès qu'on leur demande de parler en leur nom propre, cela les angoisse.
Mais ce sont des sujets qui peuvent avoir un grand plaisir à jouer avec leurs objets. Comme tous, ils ont des sentiments divers, mais il y a une angoisse qui est quand même assez présente dans certaines circonstances. Comme pour les sujets psychotiques, ce sont certainement des sujets qui sont plus angoissés que les névrosés, parce que leurs défenses sont plus lourdes à mettre en place.

Hélène Colas-Charpentier : Peuvent-ils être amoureux ?

Jean-Claude Maleval : Oui. Bien sûr qu’ils peuvent être amoureux ! Mais ce n'est pas facile pour eux. Encore que l'amour leur soit plus facile que le désir. Ce qui est très difficile pour eux, comme pour beaucoup de sujets psychotiques, c'est de mettre en jeu le désir. Comme ils n'ont pas la fonction phallique pour interpréter le désir de l'Autre, ce n'est pas très facile. Mais, et là aussi, il y a parfois des compensations qui sont mises en place, et certains sujets autistes ont des relations amoureuses – même des relations homosexuelles comme Tammet – tout à fait durables d'ailleurs.
Très souvent, ils ont des relations amoureuses avec des doubles, c'est-à-dire avec d'autres autistes, mais pas toujours. L'ami de Tammet n'est pas un autiste, par exemple. Donc, ils peuvent connaître l'amour aussi. De même que les psychotiques, les autistes sont très différents les uns des autres. On peut observer des sujets autistes pour qui l'amour est un sentiment absolument inconnu. À l’instar de certains psychotiques, de schizophrènes ou même de psychotiques ordinaires, qui vous disent : « L'amour, je ne sais absolument pas ce que c'est. J'en ai entendu parler, tout le monde dit : « L'amour, c’est extraordinaire ! » Moi, je n'ai jamais ressenti quelque chose comme ça ».
Et puis vous avez, à l'autre extrême – puisqu'au fond, l'amour et le désir ne sont pas régulés dans la psychose – des sujets qui sont toujours amoureux, ou bien qui ont le sentiment que les autres les aiment (l'érotomanie) ; ou bien des sujets qui se caractérisent d'avoir un désir qui ne fonctionne pas du tout ou qui fonctionne dans l'excès : certains sujets psychotiques (c'est plutôt du côté de la paranoïa d'ailleurs) baisent avec tout ce qui passe : un animal, un homme, une femme, un enfant, etc. Il y a aussi parfois cela dans la psychose : on trouve tous les modes de dérégulation.
Chez les autistes, il s’agit plutôt d’une difficulté avec le désir, mais il y en a certains qui parviennent à avoir des relations amoureuses durables. Cependant ces relations amoureuses sont souvent platoniques. Le désir fonctionne assez mal. Williams témoigne que dans ses relations amoureuses, elle a longtemps recherché un double. Elle a d’abord vécu avec deux autistes, avant de se stabiliser, avant de se marier avec un sujet qui n'est pas autiste. Ce n'est pas tellement la question du désir qui est centrale pour elle, même si elle rapporte que avec ce sujet qui n'est pas autiste, elle est parvenue à éprouver du plaisir sexuel, alors qu'avec les autres, elle ne ressentait rien. Il est assez exceptionnel qu’un autiste parvienne à la satisfaction sexuelle, mais il n’y a rien là d’impossible..

Sophie Lapointe : Une question de diagnostic différentiel. Comment peut-on distinguer un autiste d'un psychotique, vers l'âge de 5 ans à peu près ?

Jean-Claude Maleval : Il y a des points communs entre autisme et psychose, puisqu’il y a forclusion du Nom-du-Père dans les deux cas. Il y a des troubles du langage qui peuvent être semblables, par exemple des néologismes. Chez des enfants qui n'ont pas construit la défense spécifique de l'autisme qui est l’appui sur un bord, qui ne l'ont pas construit, ou bien dont on a cassé les défenses en leur enlevant leur objet, il devient bien difficile de les distinguer des schizophrènes.
Si l'objet autistique est une partie du corps, la langue par exemple, ou la lèvre (c'est parfois un objet autistique), la jouissance étant localisée sur un élément du corps, la différence entre schizophrénie et autisme devient bien difficile à discerner. Cependant il existe une différence foncière, il n'y a pas de rétention de la voix dans la schizophrénie ni dans la paranoïa, il n'y a pas de compensation par un langage de signes (dans la schizophrénie, cela peut se voir de temps à autre, mais c'est plutôt exceptionnel). On peut voir aussi un objet prendre une place privilégiée pour un schizophrène, mais là aussi c'est exceptionnel, il ne s’agit pas d’une défense spécifique. Pour le schizophrène, il y a mise en place du signifiant unaire, c'est-à-dire que la jouissance est chiffrée par le signifiant. Il y a des intuitions délirantes diverses, et éventuellement, s'il fait un délire systématisé, cela peut être connecté ultérieurement au S2. Tandis que chez l'autiste, il y a une difficulté à chiffrer la jouissance sous le signifiant unaire, ce qu’il compensera par un langage de signes. Ceci est très spécifique de l'autisme.
Il y une autre manière de parler pour l'autiste (dont je n'ai pas parlé dans l'exposé) : c'est une lalangue qui reste une jouissance solitaire de la voix. C'est une lalangue qui ne permet pas de communiquer. Il y a une langue qui permet de communiquer, c'est une langue fonctionnelle, mais cette langue-là est coupée de la vie affective, coupée de la jouissance. Une langue d'accumulation de faits, dit Williams, une langue de signes. Et puis il y a une autre langue, qui est prise au signifiant, et avec cette langue-là qui est connectée à la jouissance, le sujet tient un langage verbeux, il se parle à lui-même. Williams explique qu'on lui avait dit à un moment qu'elle jouissait de sa voix. C'était l'impression qu'avaient ceux qui l'écoutaient, c'est-à-dire qu'elle se parlait à elle-même, elle soliloquait. C’est très fréquent que les autistes soliloquent, utilisant un langage verbeux. Dans ces circonstances il y a une jouissance solitaire de la voix qui est très différente du langage fonctionnel.
Ils utilisent aussi quelque chose qui est très surprenant. Ce sont les phrases spontanées à l’occasion desquelles ils deviennent extrêmement présents : « Rends-moi ma boule ! », « Retire-moi ça ! ». Ce sont des phrases dans lesquelles la voix s’affirme et se trouve logée au champ de l'Autre – puisqu’il y a qu'il y a une adresse. Donc dans l'autisme, il y a aussi une inscription dans le signifiant (quand il y a une adresse), mais cela reste temporaire ; très vite, ils vont retourner dans leur mutisme.
La non distinction entre la langue verbeuse et la langue fonctionnelle produit beaucoup de confusions concernant la théorisation de l'autisme. Si l’on ne distingue pas ces deux manières de parler, alors on théorise en englobant les deux et l'on n'y comprend plus rien. On dit qu'il y a du S1, d'autres disent qu'il n'y a pas de S1 . Les deux sont vrais. Il y a du S1 dans la langue verbeuse, mais il n'y en a pas dans la langue fonctionnelle.

Reine-Marie Bergeron : Merci. Je trouve ça vraiment formidable. J'ai un enfant comme ça qui s'est promené pendant des heures dans mon bureau, en fait à chacune des séances où il venait. J'avais fait l'hypothèse qu'il se racontait des histoires. Et le fait de lui dire à un moment donné qu'il se racontait des histoires a produit un attachement. Alors il y a des lieux qu'il investit dans le bureau, quand il se raconte des histoires, parce que maintenant il se les mime – chose qu'il ne faisait pas avant. Il a maintenant dix ans. Et parfois, je repère bien que c'est comme un petit bout d'histoire qu'il recommence incessamment. Et puis, il y a l'autre lieu où il s'assoit à une table où il écrit ou bien dessine. Il y a cette particularité dans mon bureau que devant la petite table, il y a un miroir. Parce que je suis justement partie, il y a très longtemps, il y a trente ans, avec les théories des Lefort76 et le stade du miroir – et donc j'ai toujours travaillé avec un miroir avec les autistes.
Comment positionnez-vous ce que vous apportez, par rapport au stade du miroir et au miroir ?

Jean-Claude Maleval : Oui, j'ai effectivement parlé très peu du stade du miroir. En même temps, je parle beaucoup du double. Je n'ai pas une réponse précise. C'est une question à laquelle il faudrait que je réfléchisse un peu. Quel est le rapport au miroir ? Il y a une constitution du sujet dans l'image au miroir. Ceci dit, il y a certains autistes qui ne reconnaissent pas leur image dans le miroir. Le double est une construction qui n'est pas donnée d'emblée : il faut qu'ils puissent la faire. Quand ils la font, c'est un double apaisant. Il y a donc certainement des positions diverses du sujet autiste devant le miroir.
J'ai quand même traité de cette question quand j'ai lu très attentivement Donna Williams et ce qu'elle raconte de son positionnement face au miroir. Il y a plusieurs manières chez elle. À un moment, elle voit une horreur dans le miroir, c'est-à-dire qu'elle voit plutôt un déchet – ce que voient aussi certains sujets psychotiques –, c'est-à-dire qu'elle voit l'objet petit a dans le miroir. Après, elle voit un double, qui est Carol. Elle pense que l'image qu'elle voit, c'est-à-dire elle-même, est un de ses compagnons imaginaires. Et ce qui est très étonnant, c'est qu'elle considère qu’il s’agit réellement d’une personne. Elle n'arrive pas à concevoir que Carol, qu'elle voit dans le miroir, sa propre image en fait, ne soit pas quelqu'un. Elle se lance contre le miroir pour essayer de pénétrer dans le monde de Carol. Plus tard même, à la fin de son dernier ouvrage, elle a toute une discussion avec une de ses amies qui lui explique que ce qu'elle voit dans le miroir n'est pas une personne réelle, et elle ne comprend pas. Donc, il y a quelque chose de son être qui est dans ce double. Ce double dynamique, comme on le voit bien dans la clinique de l'autisme, ce double cadre quelque chose de l'objet réel. Il y a une erreur quant au point d'insertion de la libido, disait Colette Soler, ce qui est assez juste. Le point d'insertion de la libido est dans le double, qui a vraiment une consistance tout à fait étonnante.
Williams le décrit dans son deuxième ouvrage point par point. Elle n'arrive pas au stade du miroir, c'est-à-dire au moment où il s'agirait de se retourner vers l'autre pour attester qu'il s'agit bien d'une image. Pour elle, l'image reste réelle, ce n'est pas une image virtuelle. Alors est-ce le cas pour tous les autistes ? Je ne pense pas. Mais on voit qu'il y a une difficulté avec l'assomption du miroir. Celui dont vous parliez, tantôt il mime les choses, tantôt il écrit. Qu'est-ce qu'il écrit ?

Reine-Marie Bergeron : Au départ, il écrivait des lettres avec des couleurs différentes. Il s'asseyait et écrivait pendant une heure, parfois plus d'une heure. C'était tout à fait incompréhensible, jusqu'à un moment où il est allé à l'ordinateur – parce que j'avais un ordinateur ouvert dans mon bureau –, il est allé sur le site de Télétoon, qui est un site de télévision. Il est allé voir la programmation et j'ai compris que les lettres qu'il écrivait correspondaient à la première lettre de toutes les émissions de ce canal-là, qui est un canal pour enfant. J'ai découvert par déduction que les couleurs représentaient les émissions qu'il pouvait regarder et celles qu'il ne pouvait pas regarder, parce qu'il était à l'école ou qu'il était couché. Alors une fois que ça a été déchiffré et interprété, il a pu passer à autre chose.

Jean-Claude Maleval : Cela montre bien que l'acquisition du langage se fait beaucoup plus aisément chez l'autiste, à condition qu'on le coupe de l'énonciation. Donc l'écrit qui constitue un objet aussi bien que le passage par l'ordinateur se prêtent assez bien pour eux à être investi, parce que c'est coupé de l'énonciation. Ou alors l'imitation, l'imitation par les gestes, est quelque chose qui pour les autistes n'est pas angoissant, parce qu'il n'y a pas de mise en jeu de la jouissance vocale.

Participant : Je crois que vous avez dit que l'autiste s'appuie sur un bord. Pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit ? À quoi cela s'opposerait-il par exemple ?

Jean-Claude Maleval : Le bord, je le définis de manière spécifique. Il y a trois éléments dans ce bord. Il y a le double, l'objet (l'objet autistique) et un îlot de compétence. Ces trois éléments, chez les autistes de Kanner, peuvent très bien être intriqués et difficile à différencier.
Chez une autiste comme Temple Grandin, ils sont très bien différenciés. Le double, c'est la vache. Elle est une image de la vache. Elle voulait intituler son deuxième ouvrage « Comment on voit par les yeux d'une vache ». Elle-même pense qu'elle voit comme une vache.
Son objet, c'est sa trappe de contention, un objet autistique. Tout son traitement, son auto-thérapie, est passé par la construction de cette trappe de contention dans laquelle elle se plonge de temps à autre pour réguler sa jouissance.
Et son îlot de compétence, ce sont ses activités professionnelles. Elle est maître de conférence en « trappe à bétail ». C'est une spécialiste mondiale des trappes à bétail qui permettent de tuer les animaux, les vaches notamment, de la manière la plus douce possible.
Vous voyez qu'il y a une intrication entre les trois éléments. Le double, c'est la vache ; la trappe de contention dans laquelle elle se met elle-même comme les vaches, c'est l'objet. Et son îlot de compétence relie les deux choses, puisque c'est « comment tuer le bétail de la manière la plus douce », par une trappe justement – pas une trappe de contention, mais une trappe qui est très proche. Il y a une interaction entre ces trois éléments et toute sa jouissance y est localisée. Elle passe son temps à faire des conférences sur l'autisme et sur les trappes à bétails, et il n’y a que ça qui compte vraiment dans sa vie.
C'est une chose qu'on retrouvera chez tous les autistes qui développent des défenses complexes.

Tustin montre, elle, que l'objet est aussi un double. Par exemple, c'est une toupie chez un sujet autiste de quatre ou cinq ans qu'elle traite. Cette toupie, quand il la fait tourner, il fait tourner son pénis en même temps. Il n’a pas d'îlot de compétence, mais on peut penser que son îlot de compétence va partir de son intérêt pour ses objets.

Je définis le bord de cette manière : îlot de compétence, double et objet, qui sont parfois intriqués ou parfois désintriqués. Une des grandes spécificités de l'autisme, c'est que la défense s'appuie sur un bord.
L'autre spécificité, c'est la rétention de la jouissance vocale qui conduit à trois manières bizarres de faire avec le langage : le mutisme, la langue verbeuse et la langue fonctionnelle. Ceci est aussi très typique de l'autisme.
L'essentiel de ce que j'essaie d'introduire concernant la structure autistique, c'est d'une part, la rétention de la voix et ses conséquences, et d'autre part, le retour de la jouissance sur un bord, défini comme je viens de vous le dire. Dans l’autisme, la jouissance n’est pas située dans l'Autre comme dans la paranoïa, ni dans le corps comme dans la schizophrénie, ni sur un objet fétiche comme dans la perversion, ni sur un objet perdu comme dans la névrose.

Participante : Mettez-vous totalement de côté la génétique ou considérez-vous qu'il y a un moment précis où l'enfant devient autiste ? Parce que normalement dans le DSM-IV, c’est à partir de trois ans que tous les symptômes peuvent être là, sinon ça ne fonctionne pas.

Jean-Claude Maleval : Je pense que l'autisme est là très tôt. On fait le diagnostic à partir de trois ans, mais il y a beaucoup d'études qui montrent qu'on peut discerner l’autisme plus tôt encore.
Il y a des études qui montrent que le fœtus d'un enfant qui va devenir autiste a déjà un certain rapport spécifique à la voix de la mère. Il n'entend pas la voix de la mère, ce que j’interprète, non pas comme le fait qu’il y a un problème perceptif avec la voix de la mère, pas du tout, mais comme le fait qu'il y a une jouissance sans limite du sonore pour l'autiste, ce qui fait qu'il n’isole pas dans le sonore la voix de la mère.

Participante : À combien de semaine peut-on dire ça ?

Jean-Claude Maleval : Je n'ai pas d’idée exacte, mais il faut déjà qu'il ait une perception de la voix. Donc sans doute plusieurs mois déjà. Il y a deux travaux français, des thèses cognitives assez récentes, qui montrent qu'il y a un trouble de la perception de la voix de la mère.

Participante : Donc, est-ce qu'on revient à la théorie de la mère froide, etc ?

Jean-Claude Maleval : Non, pas du tout. Je pense que cela relève d'un choix du sujet. Ce n'est pas lié à la position de la mère. On voit que les mères d'enfants autistes sont extrêmement différentes les unes des autres. Il y a de tout dans les mères d'enfants autistes comme dans les mères d'enfants névrosés ou autres.

Pourquoi ce choix du sujet ? Je pense que l'autisme est lié à un choix du sujet. Vous invoquiez la génétique. Je pense qu'il est possible en effet que le choix du sujet soit déterminé en partie par des facteurs génétiques. Ce n'est pas du tout inconcevable. Il y a des éléments qui sont discutables, mais quand même assez sérieux, en faveur d'une certaine prédisposition génétique. C'est possible, comme pour la psychose, mais cela ne suffit pas.
Il y a aussi un fonctionnement subjectif très spécifique et, même si c'est génétique, les gênes ont une certaine réactivité à l'environnement, c'est-à-dire que même si c'est génétique, il n'empêche que la psychothérapie ou les méthodes thérapeutiques diverses ont la capacité de modifier le positionnement subjectif. Avec des limites effectivement, parce qu'on ne sort pas de la structure autistique, comme on ne sort pas de la structure psychotique, mais l'on peut faire avec.

Jean-Marc Duru : Vous avez parlé comme s'il y avait un glissement entre l'objet dit autistique, qui contient comme une prolongation de corps, le rapport de la jouissance à l'Autre qui peut être envahissante... Donc il y a une espèce de spécificité qui contient la jouissance au champ de l'Autre pour éviter quelque chose de l'ordre de l'insupportable. Et vous avez ensuite parlé, dans les inventions de ces objets, de la différence avec l'objet transitiviste. L'objet transitiviste était plutôt une forme d'apprivoisement du rapport du sujet autiste aux petits autres.
Donc, ma question : est-ce qu'il y a un glissement, possible ou non, d'une conception de l'objet autistique du sujet, dans son rapport à l'Autre (dans son rapport de jouissance à l'Autre pour la contenir) à quelque chose qui soit de l’ordre de l'objet transitiviste, qui permet également de contenir – en prolongation de corps toujours – le rapport à ces petits autres ? Est-ce qu'il y a un glissement diagnostic et est-ce quelque chose qui peut être spécifié ?

Jean-Claude Maleval : J'ai du mal à saisir la question. Quelle est la fonction de l'objet ?

Jean-Marc Duru : Oui.

Jean-Claude Maleval : Il y a un rapport transitiviste à l'objet, mais pas seulement. Je dirais que peut-être c'est ça la différence. Dans l’autisme, comme dans la psychose, il y a un rapport transitiviste à l'objet qui peut faire que le double-objet soit appréhendé comme persécuteur. Cependant à partir du moment où le sujet le maîtrise, il n'est plus persécuteur.
Ce qui est spécifique réside dans le fait que le bord peut être un canal vers l'autre. Il ne permet pas de faire que le sujet loge sa jouissance au champ de l'Autre, mais c'est un canal vers l'autre qui rend possible la construction d'un Autre de synthèse – ce que j’appelle un « Autre de synthèse » – qui permet une médiation vers une certaine entrée dans le lien social sans loger sa jouissance au champ de l'Autre.
Je ne peux pas le dire autrement : l'objet-double est un canal vers l'autre et permet la construction d'un Autre de synthèse – d'ailleurs en grande partie aussi à partir de l'îlot de compétence –, c'est-à-dire qu'à partir du bord peut se construire un Autre de synthèse permettant une entrée dans le lien social.

Jean-Marc Duru : Oui, je vois la différenciation entre les deux types d’objets maintenant.

Merci à vous pour cet exposé extrêmement riche sur l'approche structurale de l'autisme et les manières différenciées de le traiter.

Applaudissements.

  • 1. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998. p. 106.
  • 2. Ibid., p. 110.
  • 3. IPA : International Psychoanalytical Association.
  • 4. Schreber D. P., Mémoires d'un névropathe [1903], Points Seuil, Paris, 1975.
  • 5. Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 17.
  • 6. Sinclair J., « Ne nous pleurez pas », Autism Network International, Our Voice, Volume l, Numéro 3, 1993.
  • 7. Lefort R. et R., Naissance de l’Autre, Seuil, Paris, 1980.
  • 8. Lacan J., « Conférence de Genève sur "Le symptôme" » [1975], in Le bloc-notes de la psychanalyse, Genève, 1985, n°5. p. 17.
  • 9. Rothenberg M., Des enfants au regard de pierre [1977], Seuil, Paris, 1979. pp. 275-276.
  • 10. Kantzas P., Le passe-temps d’un Dieu, Analyse de l’autisme infantile, Dialogue, Cergy-Pontoise, 1987. p. 116.
  • 11. Asperger H., Les psychopathes autistiques pendant l’enfance [1944], Les empêcheurs de tourner en rond, Synthélabo, Le Plessis-Robinson, 1998. p. 110.
  • 12. Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 73.
  • 13. Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 162.
  • 14. Lacan J., Le séminaire livre XX Encore, Seuil, Paris, 1975. p. 89.
  • 15. Boysson-Bardies B., Comment la parole vient aux enfants, O. Jacob, Paris, 1996. p. 60.
  • 16. Ibid., p. 166.
  • 17. Lacan J., Le séminaire livre I Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975. pp. 81-83.
  • 18. Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 21.
  • 19. Miller J-A., « Clinique ironique », La Cause freudienne No23, Revue de psychanalyse, Navarin Seuil, 1993. p. 10.
  • 20. Peirce C. S., Écrits sur le signe, Seuil, Paris, 1978. p. 165.
  • 21. Lefort R. et R., La distinction de l’autisme, Seuil, Paris, 2003. p. 87.
  • 22. Bettelheim B., La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris, 1969. p. 186.
  • 23. Ibid., p. 188.
  • 24. Ibid., p. 192.
  • 25. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus [1992], Robert Laffont, Paris, 1992. p. 130.
  • 26. Ibid., p. 302.
  • 27. Ibid., p. 130.
  • 28. Laurent E., « Discussion », in L’autisme et la psychanalyse, Presses Universitaires du Mirail, 1992. p. 156.
  • 29. Bettelheim B., La forteresse vide [1967], Gallimard, Paris, 1969. p. 302 et p. 304.
  • 30. Tustin F., Autisme et protection, Seuil, Paris, 1992. p. 37.
  • 31. Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 115.
  • 32. Lacan J., De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité [1932], Seuil, Paris, 1975. p. 253.
  • 33. Tausk V., « De la genèse de « l’appareil à influencer » au cours de la schizophrénie » [1919], in Œuvres psychanalytiques, Payot, Paris, 1975. p. 190.
  • 34. Ibid., p. 216.
  • 35. Callahan M., Tony : la victoire d’un enfant autiste [1987], Pocket, 1993. p. 147.
  • 36. Gerland G., Une personne à part entière, Autisme France Diffusion, 2004. p. 86 et p. 73.
  • 37. Fuentes-Biggi J. et coll. Ministerio de Sanidad y Consumo Espana, Gufa de buena practica para el tratamiento de los trastornos del espectro autista, Rev. Neurol. 2006, 43 (7). pp. 425-438.
  • 38. Ockelford A., In the key of genius. The extraordinary life of Derek Paravicini, Hutchinson, London, 2007. p. 214.
  • 39. Ibid., p. 242.
  • 40. Tammet D., Je suis né un jour bleu [2006], Les Arènes, Paris, 2007. p. 70.
  • 41. Kanner L., « Étude de l’évolution de onze enfants autistes initialement rapportée en 1943 », Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 1971, 1-2. pp. 119-145. Traduction in La Psychiatrie de l’enfant, 1995, XXXVIII, 2. p. 425.
  • 42. Ibid., p. 458.
  • 43. Ibid., p. 459.
  • 44. Beaucoup d’études concluent à une inefficacité de la communication facilitée en raison de la mise en évidence d’une dépendance du sujet au facilitateur. Elles se bornent à une approche aseptisée de la situation. Elles méconnaissent la structure du sujet autiste qui se caractérise de localiser la jouissance sur un bord, vécu comme un double, incarné par le facilitateur. En elle-même, cette méthode ne saurait certes constituer une thérapeutique de l’autisme, mais elle peut favoriser l’instauration d’une relation transférentielle. En tout état de cause, il est dommageable de se priver du recours à l’ordinateur quand le sujet l’adopte : même les études sur l’apprentissage assisté par ordinateur convergent pour constater à tout le moins des effets bénéfiques sur les acquisitions.
  • 45. Axline V., Dibs ou le développement de la personnalité grâce à la thérapie par le jeu [1964], Flammarion, 1967. pp. 47-49.
  • 46. Eliot S., La métamorphose. Mes treize années chez Bruno Bettelheim [2001], Bayard, Paris, 2002. p. 250.
  • 47. Ibid., p. 53.
  • 48. Ibid., p. 268.
  • 49. Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. pp. 38-39.
  • 50. Sacks O., Un anthropologue sur Mars, o.c., p. 331.
  • 51. Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 288.
  • 52. Berger J., Sortir de l’autisme, Buchet/Chastel, Paris, 2007. p. 108-109.
  • 53. Copeland J., Pour l’amour d’Anne [1973], Fleurus, Paris, 1974. p. 39.
  • 54. Idoux-Thivet A., Écouter l’autisme, Le livre d’une mère d’enfant-autiste, Autrement, Paris. 2009.
  • 55. De Clercq H., Dis maman, c’est un homme ou un animal ?, AFD, Mougins, 2005. p. 97.
  • 56. « Antenne 110. Un programme ? Pas sans le sujet », In Préliminaires No 16, Publication du champ freudien en Belgique, 2006. p. 22.
  • 57. Le RI3, Réseau International d’Institutions Infantiles est un réseau du Champ freudien, créé par Jacques-Alain Miller en 1992. Il est actuellement constitué de trois institutions membres : l’Antenne 110 (Belgique), le Courtil (Belgique) et le CTR de Nonette (France) et d’institutions associées : Podensac, l’Ile Verte et la Demi-Lune (France), le Prétexte (Belgique) et l’Hôpital de jour d’Aubervilliers. Ces institutions reçoivent des enfants, des adolescents et de jeunes adultes psychotiques et autistes. Elles s’orientent de l’œuvre de Freud et de l’enseignement de Lacan.
  • 58. « Antenne 110. Un programme ? Pas sans le sujet », In Préliminaires No 16, Publication du champ freudien en Belgique, 2006. p. 27.
  • 59. Ibid., pp. 27-28.
  • 60. Newport J., Your life is not a label, Future Horizons, Arlington, 2001. p. 161.
  • 61. Tammet D., Je suis né un jour bleu [2006], Les Arènes, Paris, 2007. p. 124.
  • 62. Ibid., p. 129.
  • 63. Ibid., p. 138.
  • 64. Ibid., p. 227.
  • 65. Rothenberg M., Des enfants au regard de pierre [1977], Seuil, Paris, 1979. p. 286.
  • 66. Williams D., Quelqu'un, quelque part, Editions J'ai Lu, 1996. p. 288.
  • 67. Baghdadli A., Noyer M., Aussiloux C., Interventions éducatives, pédagogiques et thérapeutiques proposées dans l’autisme, o.c., p. 3.
  • 68. Ibid., p. 261.
  • 69. Berger J., Sortir de l’autisme, Buchet-Chastel, Paris, 2007. p. 31.
  • 70. Sinclair J., « Don’t mourn for us », Autism Network International, Our voice, 1993, 1, 3 ; ou http://web.syr.edu/%7Ejisincla/dontmourn.htm
  • 71. Deshays A., Libres propos philosophiques d’une autiste, Presses de la Renaissance, Paris, 2009. p. 57.
  • 72. Ibid., pp. 114, 116, 121, 124.
  • 73. Williams D., Si on me touche, je n’existe plus [1992], Robert Laffont, Paris, 1992. p. 290.
  • 74. Grandin T., Penser en images [1995], O. Jacob, Paris, 1997. p. 114.
  • 75. Le discours de M. Klein, affirme-t-il, « greffe brutalement sur l’inertie moïque initiale de l’enfant les premières symbolisations de la situation œdipienne » (Lacan J., Le séminaire livre I Les écrits techniques de Freud, Seuil, Paris, 1975. p. 109).
  • 76. Lefort R. et R., Naissance de l'Autre, Seuil, Paris, 1980.